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#10 – Alexis Monville – Leadership émergent
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10e émission Chemins de traverse diffusée en direct mercredi 13 novembre 2024 à 22 h
Notre invité, Alexis Monville, nous embarque dans un parcours riche et varié. De l’industrie automobile, une start-up Internet, le secteur public (administration électronique) et le conseil en organisation, jusqu’à la direction d’une grande entreprise de logiciels libres, il a traversé des univers divers et complémentaires. Ensemble, nous plongerons dans les expériences qui ont jalonné ce chemin et explorerons sa grande passion : « Le leadership émergent – l’art de révéler le potentiel des équipes et des individus ».
Vous pouvez lire la transcription.
Références et liens
- Site web d’Alexis Monville
- Livre « Se distraire à en mourir » de Neil Postman
À l’oreille
- What a wonderful world par The Ramones
- Schmaltz par Jahzzar (générique)
Intervenir en direct
- Vous pouvez nous rejoindre sur le salon web de l’émission pour participer à notre discussion en direct, nous contacter ou nous laisser un commentaire.
- Pendant le direct, vous pouvez aussi nous appeler au 09 72 51 55 46
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Transcription
Note concernant la transcription : nous avons choisi, comme le préconise l’article Pourquoi et comment rendre accessible un podcast ?, une transcription fidèle aux propos tenus, sans suppression des tics de langage (les phrases qui ne finissent pas (…), les répétitions, les onomatopées).
Voix du générique (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, Chemins de Traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Fred : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous pour ce dixième épisode de Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Dans Chemins de traverse, Julie, Élise, Mehdi et moi-même Fred, nous espérons vous proposer de belles rencontres et mettre en avant des parcours personnels et professionnels, des passions, des engagements.
Ce soir, on va notamment parler de leadership.
Si vous vous dites, c’est quoi cette foutaise, rassurez-vous, je connais notre invité depuis plus de 20 ans et c’est l’une des personnes que j’apprécie le plus.
Dans l’émission de ce jour, nous allons donc vous faire découvrir Alexis Monville, qui va nous embarquer dans un parcours riche et varié, de l’industrie automobile, une start-up internet, le secteur public, administration électronique, et le conseil en organisation, jusqu’à la direction d’une grande entreprise de logiciels libres. Il a traversé des univers divers et complémentaires.
Ensemble, nous plongerons dans les expériences qui ont jalonné ce chemin et explorerons sa grande passion, le leadership émergent, l’art de révéler le potentiel des équipes et des individus.
Bonsoir Alexis.
Alexis : Bonsoir Fred.
Fred : Avant que la discussion ne commence, je vous rappelle que nous sommes en direct ce mercredi 13 novembre 2024 sur Radio Causes Communes, la voix des possibles, sur 93.fm et en DAB+, en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
N’hésitez pas à participer, à intervenir en direct.
Pour cela, notre téléphone est branché.
Et Julie, bonsoir Julie.
Julie : Bonsoir, bonsoir à tous.
Julie vous attend en régie.
Fred : Vous pouvez nous appeler au 09 72 51 55 46.
Je répète, 09 72 51 55 46.
Ou alors, vous pouvez réagir sur le salon web de la radio.
Rendez-vous sur le site causecommune.fm.
Bouton chat, salon, Chemins de traverse.
Alors Alexis, on va commencer par une première question, qui est très simple en fait.
Tu vas avoir un petit défi quand même, parce que le leadership, ça peut être connoté négativement pour plein de personnes.
Alors donc, pourquoi au-delà de ton parcours, nos auditrices et auditeurs doivent écouter l’émission, même si certaines peuvent avoir un a priori négatif sur cette notion de leadership ?
Alexis : Alors déjà, ça ne m’étonne pas qu’ils aient un a priori, enfin qu’ils puissent avoir un a priori négatif sur le leadership.
Parce qu’il est un peu mis à toutes les sauces.
Et donc, je comprends ça.
On pense à distance, autorité.
Il y a plein de mots qui peuvent venir avec ça.
Et ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler, mais pas du tout, du tout.
J’ai plutôt envie de parler d’empathie, de transparence, d’alignement.
Vous savez, cette expérience, quand on est dans une équipe et que soudainement, on a l’impression qu’on peut soulever des montagnes, c’est plutôt de ça dont j’ai envie de parler.
Fred : D’accord, écoute, super.
Alors nos auditrices et auditeurs connaissent un petit peu le principe de l’émission.
C’est un parcours, principalement, qu’on va aborder.
Et puis, avec des passions, des engagements.
La passion principale, ce sera le leadership, les individus, les personnes.
Mais on va quand même parler un petit peu de ton parcours pour savoir un petit peu ce qui t’a amené là.
Et puis pour te découvrir un peu plus.
Parce que voilà, tu as un parcours riche et varié.
On ne va pas tout voir parce que sinon, on pourrait y passer l’heure et demie entière.
Alexis : Même moi, ça m’ennuierait.
Ce serait catastrophique.
Fred : Donc, on va voir certains points.
Je ne sais pas.
En tout cas, on va balayer un petit peu ton parcours.
Alors, on va commencer.
Toi, tu es diplômé d’ingénieur mécanique.
Alexis : Oui.
Fred : Alors, j’avoue que je ne serais pas tout à fait capable de dire ce qu’est un…
Je vois à peu près ce que c’est qu’un ingénieur mécanique.
Mais je n’en suis pas totalement sûr.
Est-ce que tu peux me dire, c’est quoi ce métier, cette activité d’ingénieur mécanique ?
Alexis : C’est amusant parce que ça fait tellement longtemps que je ne suis même pas sûr de savoir moi-même.
En fait, l’ingénierie, c’est apprendre à construire des choses, en fait.
Si tu veux, en simplifiant radicalement les choses.
Donc, le rêve d’un ingénieur, c’est de fabriquer des choses qui vont résoudre des problèmes, qui vont apporter des choses aux gens.
Et généralement, tu assembles des pièces mécaniques.
Tu fais des constructions mécaniques.
Donc, des choses qui s’assemblent, qui bougent.
Ça pourrait être un moteur, par exemple.
Fred : D’accord, dans l’automobile, par exemple.
Alexis : Par exemple.
Fred : D’accord.
On va y revenir juste après parce que justement, c’est là une de tes premières expériences.
Mais alors, quand tu étais plus jeune, qu’est-ce qui t’a amené à ça ?
Est-ce que tu as été tout de suite intéressé par ce genre de choses ?
Ou est-ce que tu imaginais, quand tu étais plus petit ou plus jeune, de faire d’autres activités que de devenir ingénieur mécanique ?
Alexis : Ah oui, alors du coup, on va commencer très tôt.
En fait, le premier truc que je voulais faire quand j’étais gamin, c’était astrophysicien.
Fred : Très ambitieux, en tout cas.
Alexis : Oui, très ambitieux.
Mais le truc qui va faire vraiment rire tout le monde, c’est pourquoi je voulais être astrophysicien.
En fait, je voulais être astrophysicien parce que j’avais vu à la télévision.
Je ne regardais pas beaucoup la télévision.
Mes parents étaient assez stricts là-dessus.
J’avais vu à la télévision un gars en interview.
Et ce gars s’appelait Hubert Reeves.
Et en dessous de son nom, c’était écrit astrophysicien.
Et le gars a parlé.
Et j’étais captivé tout le temps où il a parlé.
Et je me suis dit, moi, je veux faire ça.
Je veux faire astrophysicien.
Je n’avais pas du tout compris ce que c’était, mais je voulais faire ça.
Donc, c’était ça mon premier truc.
Et je me suis beaucoup documenté.
J’ai écrit au Centre d’information et de documentation pour la jeunesse.
J’en ai écrit une longue lettre.
J’avais 10-12 ans, peut-être un peu moins, une dizaine d’années.
Et ils m’ont renvoyé un grand dossier pour m’expliquer comment on devenait astrophysicien.
C’est quand on a reçu le dossier que mon père m’a dit, je ne crois pas que ça marche comme ça, en fait, le Centre d’information et de documentation pour la jeunesse.
Je ne crois pas que tu leur renvoies un courrier qui te renvoie un truc.
Donc là, c’est quand même assez extraordinaire.
Et du coup, j’ai appris que ça pouvait marcher comme ça.
Et donc, j’ai continué à leur écrire pendant des années au fur et à mesure que j’ai changé d’idée.
Fred : D’accord.
Et donc, tu as évolué dans différentes idées avant d’arriver sur cette activité, en tout cas, ce diplôme d’ingénieur mécanique ?
Alexis : Oui.
En fait, l’idée que j’avais, c’était…
J’étais très ennuyé par les voyages en voiture avec mes deux sœurs, qui, évidemment, je considérais qu’elles prenaient toute la place.
J’avais une plus grande et une plus petite, donc j’étais au milieu.
Fred : Donc, tu étais au milieu en plus, oui.
Alexis : Et les voitures n’étaient pas conçues pour avoir trois enfants, je crois.
Et du coup, je rêvais de construire autre chose.
Et en fait, j’ai fait des tas de dessins de voitures qui permettaient de transporter des familles plus ou moins nombreuses.
Et c’était magique pour moi de faire ça.
C’était super intéressant, c’était super passionnant de faire tous ces dessins, tous ces croquis pour inventer une voiture.
Fred : D’accord.
Et donc, tu es devenu ingénieur mécanique, un diplôme, et tu as travaillé au tout début, si je crois bien, dans l’industrie automobile.
Alexis : Oui.
Fred : Donc, c’était volontaire de vouloir travailler dans l’industrie automobile, justement, par rapport à ce que tu viens de dire ?
Alexis : Oui.
Fred : Oui ?
Alexis : Oui.
Je croyais vraiment que j’allais construire des voitures.
Fred : D’accord.
Et tu as travaillé dans quelle entreprise ?
Qu’est-ce que tu y faisais, en fait ?
Alexis : En fait, je n’ai pas du tout construit de voiture.
Fred : Qu’est-ce que tu as fait ?
Alexis : Et en fait, je me voyais à faire du design et je me voyais à faire des choses comme ça.
Et en fait, pas du tout.
En fait, j’avais fait du développement pendant mes études parce que je trouvais ça marrant.
Mais je ne pense pas que c’était un vrai métier de développer des logiciels.
Je vais me faire plein d’amis.
Et du coup, ces compétences informatiques, c’était il y a très longtemps.
Donc l’informatique, les gens n’avaient pas de mail et n’avaient pas d’ordinateur.
Fred : Alors pour préciser, parce qu’on est à la radio, donc on ne te voit pas.
C’était vers quelle époque ?
Alexis : J’ai été diplômé en 90 ou 91, un truc comme ça.
Donc c’était il y a très longtemps.
Donc ça paraît bizarre aux gens, mais le web a été inventé en 90.
Donc ça leur positionne un petit peu.
Et ça ne s’est pas diffusé rapidement.
Donc ne rêvez pas.
Et en fait, du coup, ces compétences-là m’ont amené à aller dans un domaine où on fabriquait des systèmes de freinage.
C’était le début des freinages ABS, donc anti-blocage.
Donc c’est quand vous appuyez sur la pédale de frein, les roues ne se bloquent pas.
Ça paraît tellement évident pour les gens aujourd’hui, parce que je ne crois pas qu’il reste des voitures qui roulent sur la route sans ABS ou alors vraiment des très anciennes.
Et donc c’était la première fois où on avait ces dispositifs en série sur un modèle de voiture.
On s’en fout du modèle, ce n’est pas très grave.
Et en fait, comme c’est un organe de sécurité, l’idée, c’était de mettre en place une traçabilité sur le produit, les composants, l’ensemble des composants qui étaient assemblés pour fabriquer cet ABS et tous les processus.
Donc le couple de serrage d’une vis, on l’enregistrait.
On enregistrait tout et on gardait toutes les informations là-dessus.
Et du coup, c’était la première fois que sur une chaîne d’assemblage, on avait un système informatique, on avait un VAX dans une belle salle climatisée.
Fred : En fait, c’est un ordinateur, une grosse machine, des grosses armoires à l’époque.
Alexis : On avait une salle pour ça.
Donc, c’était un truc assez magique.
Et du coup, j’étais en charge de mettre en production ce truc-là, pour cette première chaîne d’assemblage à plus grande série.
Donc, c’était très marrant.
Et en fait, moi, mon ambition, ce n’était pas du tout de faire ça, parce que ça, c’était très proche de la fabrication.
Et moi, je me voyais plutôt dans les bureaux d’études.
Et donc, j’ai essayé de me faire recruter partout comme ça.
J’ai fait tous les constructeurs automobiles en leur disant que je voulais être dans un bureau d’études.
Et à chaque fois, ils me disaient, en fait, on pense que ce serait bien que tu sois en fabrication.
Tu es en fabrication, sur les lignes d’assemblage, encadré.
Et moi, je n’avais pas du tout envie de faire ça.
Et donc, je refusais tous les jobs qu’on me donnait.
Au bout d’un moment, quand même, je me suis dit que j’allais arrêter de refuser des jobs.
Et donc, il y a ce mec qui me recrute et qui me dit, oui, je comprends bien que c’est ce que tu veux faire, mais ça m’arrangerait que tu fasses ça pendant quelques mois.
Puis après, dès qu’il y a un poste qui s’ouvre, je te mettrai en bureau d’études.
Donc, le mec était un très, très bon juge de caractère parce que, évidemment, au bout de quelques mois, je me suis rendu compte que la fabrication, c’était génial.
Être vraiment au contact des gens qui font vraiment les choses, c’était passionnant.
J’adorais ça.
Il y avait des tas de problèmes en permanence, des tas de trucs qui tombaient, qu’il fallait résoudre.
Tu étais vraiment dans l’action d’essayer de résoudre des choses.
C’était passionnant.
J’ai adoré ça.
Et puis, tu avais des problèmes technologiques, techniques.
Et puis, tu avais surtout plein de problèmes humains.
Super intéressants, les problèmes humains.
Fred : Et c’est là que tu as découvert, notamment, des méthodes d’organisation ou autres ?
Parce que, de mémoire, tu étais un grand fan, ou en tout cas, tu m’as souvent parlé d’une méthode de Toyota.
Donc, c’est là que tu as découvert ça ?
Alexis : Un petit peu après, mais ça s’est commencé à ce moment-là.
Ce qui était très amusant pour moi, c’est que ce directeur d’usine me dise… En fait, je voyais bien que le moment allait arriver où il allait falloir que je lui dise « je ne veux pas aller dans le bureau avec les autres là, je les ai vus. C’est horrible, le truc qu’ils font »
Je ne vais pas supporter une semaine.
Comment j’allais lui dire ?
Il m’avait promis que j’aurais un job.
Au bout d’un moment, j’ai pris mon courage à deux mains.
Je suis allé le voir pour lui dire que je ne voulais pas faire ça et que je préférerais rester en fabrication si c’était possible.
J’ai commencé à lui parler et il m’a dit « ah, tu as mis du temps à venir me voir.
Je me suis dit « merde, il le sait depuis le début, c’est quand même fort ». Du coup, j’ai pris la responsabilité de l’ensemble de la fabrication des systèmes ABS quand on a mis en place une nouvelle usine à Moulins.
J’étais super jeune, mais j’ai encadré plein de gens et je trouvais ça génial.
Évidemment, la première fois que j’ai parlé devant 150 personnes pour faire ma petite présentation sur les résultats de la semaine et sur quoi on va mettre l’accent, ça faisait un peu peur.
Par contre, j’ai appris à connaître toutes les personnes individuellement et j’ai adoré ça.
Fred : Ce qui t’a le plus intéressé, ce n’est pas tellement la partie ingénierie, c’est la partie humaine, organisationnelle, équipe.
Alexis : Comment on aide les gens à mieux faire leur job.
Un des trucs qu’on a mis en place et qui était vachement intéressant, c’était la maîtrise des procédés.
Tu apprends à tout le monde, quel que soit le rôle dans l’équipe, à comprendre comment ça fonctionne.
C’est vachement marrant parce qu’il y a plein de trucs qui sont contre-intuitifs.
Pour toi, pour n’importe qui, s’il y a une tolérance pour fabriquer une pièce, admettons qu’on perce un trou, tu te doutes que si on perce un trou, le forêt, par exemple, va s’user au bout d’un moment et donc le trou ne va plus faire la même taille.
Mais tu as une tolérance.
Si tant que ça marche dans la tolérance, tu pourrais considérer que c’est bon.
Avec notre approche de maîtrise des procédés, en fait non.
Tout le monde le savait, c’est-à-dire qu’un ouvrier sur la chaîne, il prenait les cotes, il regardait le graphique et il voyait un certain nombre au-dessus de la moyenne.
Ce n’est pas normal.
Donc on a un problème de maîtrise, on s’arrête et on réfléchit.
Et on agit.
En fait, qui prend la décision ?
Le mec qui est sur la chaîne.
Ce n’est pas un grand patron.
On a de l’information, on a de la transparence, on a une bonne compréhension de cette information, on sait ce que ça veut dire et du coup on agit.
Et ça, j’ai trouvé ça génial.
J’ai adoré tout ça.
Fred : C’est-à-dire aussi qu’en amont, il y a des gens qui élaborent ces procès, ces procédures, des gens qui les vérifient et après effectivement des gens qui les appliquent en autonomie.
Parce que comme tu le dis, c’est basé sur la transparence, sur tout est accessible et surtout, je suppose en tout cas, qu’on leur explique l’intérêt aussi de ça.
Ce n’est pas juste bêtement d’appliquer une procédure, c’est qu’on explique l’intérêt.
Alexis : Du coup, c’est là où j’ai compris que si tu crées les conditions pour que les gens puissent faire le mieux possible leur job, ils le font en fait.
Et ils ont plein d’idées.
Après, tu ne peux pas nécessairement tout mettre en œuvre parce qu’on a des capacités nécessairement limitées.
On ne peut pas faire beaucoup de changements en même temps mais tu peux faire plein de trucs.
Et du coup, c’est pour ça que je partageais avec eux l’ensemble de nos objectifs global pour l’ensemble de la cabine et où est-ce qu’on avait vu qu’on avait le plus de problèmes, pour que les gens puissent se focaliser sur les points où il y avait des points d’attention.
Et du coup, c’était super intéressant, c’était super riche.
Et j’ai appris énormément de choses.
Fred : Alors, tu es resté combien de temps là-dedans, dans cette activité ?
Alexis : Je suis resté quelques années, pas très très longtemps.
Deux, trois ans peut-être.
En fait, le truc qui était rigolo, c’est que le gars qui m’a remplacé, je m’en souviens toujours, c’était marrant parce que tu parlais de l’attachement humain et ça m’y fait penser.
On avait trois équipes.
On avait une équipe du matin, une équipe d’après-midi et une équipe de nuit.
Et en fait, moi, quand j’arrivais le matin, je disais bonjour à toutes les personnes de l’équipe.
Donc, je faisais tout le tour et je disais bonjour à tout le monde.
Et puis, quand l’équipe d’après-midi arrivait, je disais bonjour à toute l’équipe d’après-midi.
Et une ou deux fois dans la semaine, je venais à 23 heures pour aller voir l’équipe de nuit, pour dire bonjour à toute l’équipe de nuit, mais je ne venais pas tous les jours pour ça.
Et il me disait, mais c’est fou parce qu’en fait, je crois que j’ai mesuré.
Je pense que tu perds entre une heure et demie à deux heures par jour à dire bonjour.
Fred : Quand il y a une grande entreprise, effectivement.
Alexis : Oui, oui, oui.
Et en fait, je n’avais pas l’impression de perdre mon temps.
Je n’apprenais pas forcément quelque chose à chaque fois, mais j’apprenais plein de petites choses que je n’aurais jamais appris si je n’avais pas fait le tour.
Puis ça disait aussi un truc aux gens, c’est qu’ils savaient que j’allais passer.
Ils savaient que s’ils avaient quelque chose à me dire, ils pouvaient me le dire.
Fred : Ils pouvaient te le dire.
En fait, ça permettait une remontée d’informations, même de façon finalement informelle et pas forcément tout le temps.
Alexis : Oui.
Fred : C’est-à-dire qu’il peut y avoir un simple bonjour ou tiens, bonjour, mais Alexis, j’ai un truc à te dire, c’est ça ?
Alexis : Oui, tout à fait.
Et du coup, des petits trucs comme, tiens, il faut faire attention parce que j’ai vu que sur le tableau des formations, parce qu’on faisait tout de manière transparente, donc on avait des habilitations pour les postes et on avait un grand tableau qu’on avait mis en place où tout le monde voyait toutes les habilitations à tous les postes.
Quelqu’un m’avait dit, j’ai vu que telle personne a été formée sur ce poste et puis il y avait beaucoup de postes qui étaient en binôme.
Donc, il y avait deux personnes qui travaillaient côte à côte toute la journée.
Pas forcément toute la journée, parce qu’il y avait des changements dans la journée, mais très proches.
Il me dit, tiens, j’ai vu que cette personne avait été formée sur ce poste, c’est vachement bien, mais tu connais son histoire avec cette autre personne qui est formée sur ce poste et qui est généralement toujours à ce poste ?
J’ai dit, non.
Il me dit, ben, si tu veux, son mari, c’est l’ex-mari de l’autre.
Elle lui a piqué.
Je pense qu’il ne faudrait pas les mettre ensemble.
Donc, évidemment, moi, je ne savais pas ça.
Mais personne ne m’en avait parlé et tout le monde n’était pas nécessairement au courant.
Mais il y a quelqu’un qui m’en a gentiment parlé avant qu’il y ait un problème.
Je lui ai dit, ce serait une bonne idée de vous mettre ensemble.
Fred : Donc, ça favorisait qu’une certaine fluidité de l’information est utile pour le travail, en fait.
Alexis : Oui, et du coup, il me faisait probablement aussi plus confiance quand je leur parlais des résultats, quand je leur parlais des points d’attention.
Et puis, moi, je ne parlais pas à des étrangers quand j’avais 150 personnes devant moi avec mon petit papier.
C’était quand même aussi pas mal, ça.
Fred : D’accord.
Alors, ça, c’est dans l’industrie automobile.
Après, si j’en crois mes notes, tu as créé une start-up Internet.
Alors, pourquoi ce changement et c’est quoi cette start-up Internet ?
Est-ce que c’était la mode ?
Est-ce que c’était à l’époque de la bulle Internet ?
Alexis : Alors, c’était avant.
En fait, c’était avant qu’il y ait une bulle.
Bon, on y a bien contribué, je vous rassure.
Donc, le web a été inventé en 90.
On est en 94, 95.
Et en fait, je retrouve des anciens copains avec qui je faisais du développement sur Mac, déjà, tu vois, pendant mes études.
Et on parle du web.
Et en fait, il y a une espèce d’enthousiasme pour faire quelque chose.
Et je vais les rejoindre pour créer une start-up web.
On est trois en 95, c’était marrant.
Et en fait, j’ai relu le business plan il n’y a pas si longtemps.
Et le business plan, c’est un espèce de mélange d’Amazon, d’Ebay, de Netflix.
Fred : Avant l’heure, quoi.
Alexis : Je ne sais pas comment les gens nous ont donné de l’argent, mais ils nous ont donné de l’argent.
Fred : À l’époque, les investisseurs donnaient beaucoup d’argent à plein de gens.
Alexis : Non, non, non.
En 95, c’était vraiment le tout début.
Donc, il n’y avait pas encore cet engouement.
Et en fait, nous, on se dit, qu’est-ce qu’on va faire ?
On va fabriquer des sites web pour les grandes boîtes.
Et après ces sites web, on va les rendre plus complexes parce que nous, on veut avoir une plateforme qui va permettre de faire soit du commerce, soit de l’information.
On imaginait radio, télé, tout ça, aller fusionner dans un grand ensemble.
Ça allait être merveilleux.
Et nous, on va fabriquer tout ça.
Et en fait, au moment où on relève la tête avec nos sous qu’on vient de lever, là, on se rend compte qu’il y a 1500 boîtes qui sont créées pour créer des sites web à tout le monde.
Fred : C’est-à-dire pour faire la même chose.
Alexis : Exactement.
Et on se dit, en fait, ça ne va pas le faire, ça.
Fred : Donc, on va faire autre chose.
Alexis : Et vous avez donc fait quoi, alors ?
Du coup, on s’est dit, qu’est-ce qui marchait à l’époque ?
Alors là, ça date vraiment.
Qu’est-ce qui marche à l’époque ?
C’est le Minitel.
Le Minitel, c’est vachement bien.
Et on se dit, le Minitel, c’est bien.
Les catalogues papiers, c’est bien.
Les gens…
Fred : Genre l’annuaire, par exemple ?
Alexis : Même les catalogues de vente papiers, ça existait.
Donc, il fallait éditer un catalogue papier.
Et après, il fallait que les gens, ils aient un petit bond de commande qu’ils découperaient, ils remplissaient leurs trucs, et ils le renvoyaient par la poste, il fallait traiter tout ça.
Et donc, on se dit, en fait, on va fabriquer un système qui va permettre d’éditer ton catalogue papier, de créer ton site Minitel, et de créer ton site web.
Et après, on va devenir une plateforme de commerce électronique, on va te permettre de faire du commerce en ligne.
Donc, il a fallu qu’on crée des systèmes de paiement, faire un partenariat avec tout ça.
On a fait des tas de trucs.
Donc, on a inventé plein de techno qui n’existaient pas, c’est très, très drôle.
Et du coup, on est devenu fournisseur de toutes ces petites boîtes qui s’étaient créées pour créer des sites web.
Parce que nous, on avait la techno, et on fabriquait des data centers.
Donc, c’était vachement marrant.
Fred : Les data centers, c’est les centres de données, là où il y a toutes les données informatiques.
Et l’entreprise, vous étiez combien ?
Vous étiez 10, 100, 1000 ?
Pour faire tout ça ?
Alexis : En fait, au début, on n’était vraiment pas beaucoup.
Donc, on travaillait beaucoup.
Je pense que j’ai battu mes records de nuits blanches.
Et quand je suis parti en 2000, on était 850 dans 10 pays.
Fred : Ah ouais, gros succès, quoi.
Alexis : Et on était coté sur deux marchés.
À l’époque, les marchés n’étaient pas intégrés en Europe.
Donc, on était coté au Nouveau Marché en France et au Neuer Markt en Allemagne.
Fred : D’accord.
Alexis : C’était marrant, ouais, c’était très marrant.
Donc, quand tu parlais de la bulle, bah oui, évidemment, on a bien vu la bulle après.
Fred : Et dans cette activité-là, est-ce que t’as retrouvé des…
Est-ce que t’as pu mettre en application ce que t’avais appris précédemment dans l’industrie automobile, sur ce que tu disais ?
Alexis : Ouais, en fait, ce qui était marrant, c’est que là, je me suis vraiment rendu compte que la façon dont on faisait de l’informatique, c’était soit beaucoup trop structuré pour ce que l’on faisait nous, soit complètement l’anarchie.
Et donc, en fait, on essayait de faire pas trop l’anarchie.
Et ce qui était vraiment amusant, et c’est pour ça que c’est une aventure humaine intéressante et que je suis toujours des contacts avec les gens de cette époque-là, c’est qu’en même temps, t’avais le passage à l’euro en 99 et le bug de l’an 2000, qui a occupé plein d’informaticiens.
Donc, normalement, les informaticiens, ils allaient faire ça.
Ils allaient pas faire du web avec des guignols comme nous.
Fred : C’était un jouet, le web, pour eux, en fait.
Alexis : Voilà.
Et donc, nous, on avait beaucoup de mal à recruter, forcément.
Et donc, on a recruté plein de gens qui étaient…
Fred : Qui n’étaient pas informaticiens ou informaticiennes de formation.
Alexis : C’est ça.
Voilà.
Et qu’on a formé.
Fred : Que vous avez formé.
Alexis : Voilà.
Et donc, on en avait quand même des vrais informaticiens, mais on a recruté plein d’autres gens qui faisaient d’autres choses.
Et puis, il y avait ce côté…
T’as une interface graphique et t’as un vrai challenge de bande passante.
Alors, évidemment, les gens, aujourd’hui, ils se plaignent de la bande passante parce qu’ils arrivent pas à regarder un film en 8K en streaming, tu vois.
Mais à l’époque, avec un modem 9600 bauds, là, où tu te connectes…
Tu faisais gaffe
Fred : Et puis, tu faisais gaffe aussi à ta facture téléphonique.
Parce qu’à l’époque, c’était la facturation à la minute.
Alexis : C’est ça.
C’était pas illimité.
Enfin, il y avait plein de choses qui étaient différentes.
Donc, il y avait plein de challenges techniques assez amusants et qui étaient au carrefour de plein de métiers.
Donc, c’était passionnant.
C’était marrant.
C’était génial comme aventure.
Fred : D’accord.
T’as enchaîné avec autre chose avant l’administration électronique ou pas ?
Alexis : Ouais.
Fred : Alors quoi, alors ?
Je me suis dit que comme j’étais super fort à monter des startups et que j’avais de l’argent, j’allais quand même continuer à faire ça.
Donc, j’allais remonter une autre.
Et comme le B2B, c’est-à-dire faire de la vente aux entreprises. Alors, B2B, c’était vachement bien.
Mais en fait, le plus impactant, le plus grandiose qu’on pouvait faire, c’était de faire une startup qui allait s’adresser aux vrais consommateurs.
Faire un truc vraiment grandiose.
Et donc, on a eu plein d’idées.
Et on s’est dit qu’on allait monter ça.
On avait énormément d’argent pour commencer, parce qu’on n’était pas très malins.
Et que c’était au moment où la bulle Internet a éclaté.
Donc, il n’y avait plus personne pour nous donner de l’argent.
Donc, on a gentiment arrêté cette idée.
Et là, je me suis dit, je vais faire du conseil à d’autres startups pour les aider à monter.
Le gars qui n’avait toujours pas compris que la bulle a éclaté, tu vois.
Et donc, évidemment, ces startups n’ont pas pu lever leur deuxième tour d’argent.
Fred : Donc, ils ne pourraient plus te payer.
Alexis : Elles sont toutes mortes.
Jusqu’à ce qu’un gars me contacte pour me dire qu’il avait un super job pour moi, mais qu’il ne voulait pas me dire quoi.
Il fallait que je vienne en rendez-vous pour qu’ils me le disent.
Fred : Ah ouais ?
C’était quoi comme job ?
Alexis : C’est aller travailler pour l’administration électronique.
Fred : Alors, on va préciser, on dit tout à nos auditeurs.
C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés.
C’est dans ce cadre-là, en fait.
Donc, il y a quelques années maintenant.
Je ne sais pas comment s’appelait à l’époque la structure.
C’était la Direction générale de modernisation de l’État ou ça avait un autre nom à l’époque ?
Alexis : La toute première instance de ça, c’était l’ADAE.
Fred : L’Agence pour le Développement de l’Administration Électronique.
Alexis : C’était une agence qui était dans les services du Premier ministre.
Fred : D’accord.
Alors, qu’est-ce qui t’intéressait là-dedans ?
Parce que c’était une des premières agences qui existaient dans l’administration électronique, donc au niveau étatique.
C’était ça qui t’intéressait ?
C’était la nouveauté ?
Travailler dans le secteur public, qu’est-ce qui t’intéressait ?
Alexis : En fait, les gars que j’ai vus en rendez-vous étaient passionnants parce que c’était des fonctionnaires.
Alors, vous allez avoir tous les clichés que vous pouvez avoir en tête.
Fred : Alors, juste une petite précision.
Julie nous demande, c’est quoi l’administration électronique ?
Alexis : Alors, l’idée, c’était d’utiliser les technologies du web, qui à l’époque n’étaient pas très diffusées, pour moderniser l’administration.
C’est-à-dire, peut-être que certains payent des impôts ou pas, mais vous faites probablement une déclaration d’impôt en ligne, par internet, à l’époque ça n’existait pas.
Donc, il a fallu faire ça.
Vous allez chercher des informations sur servicepublic.fr, à l’époque ça n’existait pas.
Et donc, savoir comment fonctionnait un service public, c’était un mystère.
Même pour certains agents publics d’ailleurs, ça pouvait être un mystère.
Fred : Donc, c’était au tout début de cette numérisation des services de l’État, pour le meilleur et pour le pire sans doute peut-être, mais bon, peu importe, c’est un autre sujet.
Mais donc, tu rencontres des gens formidables, c’est ça ?
Alexis : Oui.
En fait, les gens que je rencontre, ils sont incroyables.
Tous mes préjugés sur être un fonctionnaire, pourquoi ils font ça, etc. volent en éclats, parce que j’ai des gens passionnés qui ont vraiment envie d’être au service des citoyens et de faire les choses mieux.
Et c’est à la fois au service des citoyens et au service des agents publics, parce qu’ils se disent, les agents publics sont au service des citoyens, il faut leur donner les outils pour qu’ils puissent faire leur job dans des meilleures conditions.
Donc en fait, je faisais des gens absolument passionnants et super intéressants.
Et je me dis, bah ouais, moi je veux contribuer à ça aussi.
Et c’est bizarre, je ne m’attendais pas à ça, je n’avais pas ça dans mon plan.
Fred : Et c’était quoi ton rôle, ton poste ?
Alexis : Ah la vache, là il faut reconnaître qu’on est quand même vraiment dans l’administration.
J’étais responsable du plan stratégique de l’administration électronique.
Et à un moment donné, je me suis occupé d’un autre truc qui était très amusant, c’était la diffusion et l’utilisation de standards ouverts et de logiciels libres.
Fred : D’où notre rencontre, vu qu’à titre professionnel, je suis également dans le logiciel libre.
Donc les standards ouverts, c’est des standards qui sont documentés, accessibles à tout le monde, que tout le monde peut mettre en œuvre.
Et en fait, Internet est basé sur des standards ouverts.
Le web, HTTP, donc le protocole d’Internet, c’est un standard ouvert.
Le protocole du mail, c’est un standard ouvert.
Même si aujourd’hui, ça a de plus en plus de tendance à se refermer avec les Google, Amazon et compagnie.
Mais toi, tu étais en charge de cet aspect-là, la promotion et le développement des standards ouverts et des logiciels libres dans l’administration.
Et c’était vraiment au tout début.
C’était vraiment au tout début.
Alexis : C’était balbutiant.
Fred : Et en tout cas, c’est vrai que les équipes que j’ai pu rencontrer à l’époque dans le cadre de mon travail, j’étais un peu de l’autre côté.
Moi, j’étais promoteur de logiciel libre et je rencontrais des gens de l’administration.
C’est vrai qu’il y a vraiment des gens formidables et qui essayaient de travailler avec pas forcément beaucoup de moyens, en fait.
Alexis : Non, ils n’avaient pas nécessairement beaucoup de moyens et ils avaient beaucoup moins d’influence que certains éditeurs de logiciels, par exemple.
Fred : Comme Microsoft à l’époque.
Et maintenant, c’est Google.
Alexis : J’essayais de ne pas me faire d’ennemi.
Fred : Non, mais ne t’inquiète pas.
Donc, tu restes combien de temps, à peu près ?
Alexis : Je pense que je reste six ans.
Ça fait partie de ce genre d’expérience où j’imagine que je vais faire ça quelques temps.
Et puis, à un moment donné, il s’est passé plein de temps.
Fred : Six ans, ce n’est pas forcément très long non plus dans certaines carrières.
Alexis : Oui, c’est vrai.
Mais à un moment donné, je pense qu’il était temps.
Je pense que le rythme de changement du politique me fatiguait un peu quand même.
Fred : Je ne vais pas te poser la question de savoir si les changements politiques de majorité ont eu un impact là-dessus.
Alexis : Ce n’est même pas une question de côté politique en fait.
Alexis : Non, mais pas de côté.
Mais par rapport au logiciel libre, on sait très bien qu’avec l’élection, par exemple, de Nicolas Sarkozy en 2007, la partie logiciel libre a un peu souffert, on va dire.
Je ne sais pas si tu étais encore là-bas.
Alexis : C’est sûr que oui.
Ça va être la fin, oui.
Fred : On ne va pas rentrer dans ce détail-là.
Ça serait trop long.
En tout cas, il y a eu des…
Sous certains gouvernements, c’était plus facile que sous d’autres.
Par exemple, sous le gouvernement Ayrault, il y a eu une circulaire logiciel libre en faveur du logiciel libre.
Ceux qui s’intéressent au sujet du logiciel libre, je les renvoie sur Libre à vous ! chaque mardi à 15h30 sur Cause Commune.
Donc, tu quittes le secteur public et tu reviens dans le conseil en organisation.
C’est ce que tu faisais un petit peu avant, mais là, c’est après la bulle Internet, c’est après le secteur public.
C’est toujours le même.
Tu conseilles qui ce coup-ci en fait ?
Quel type de structure ?
Alexis : Alors là, j’ai énormément d’ambition.
Je me dis que je vais conseiller à la fois des grandes entreprises, parce que j’ai quand même une bonne expérience de grandes organisations.
Après tout, la boîte dans l’automobile dans laquelle j’étais, il y avait 400 000 employés à l’époque.
C’était quand même une énorme boîte.
Fred : Tu ne veux pas dire le nom de la boîte ?
Alexis : Ça s’appelait AlliedSignal.
Et en fait, la marque pour laquelle je travaillais, c’était Bendix.
Bendix, peut-être ça parle à certains dans l’automobile, mais c’est des équipementiers, donc généralement les gens ne les connaissent pas.
Et le secteur public dans son ensemble, c’est évidemment énormément de monde, avec des tas de différentes structures qui sont interconnectées plus ou moins.
Et puis, j’ai travaillé dans des petites structures qui grandissent beaucoup, donc des start-up.
Fred : Des start-up, dont on parlait tout à l’heure.
Alexis : Et du coup, je me dis, je vais faire du conseil pour les deux.
Et c’est ce que je vais faire, ce qui va être très amusant.
Et du coup, je vais essayer de mettre en œuvre ce que j’ai appris sur comment fonctionne, comment ça fonctionne dans l’automobile.
Tu évoquais le système de Toyota, de production de Toyota qui est passionnant.
Fred : Rappelle-moi le nom, parce que je ne me souviens plus comment il s’appelait ce système.
Alexis : C’est Toyota Production System, donc TPS.
Et ça va être étudié par le MIT et ça va donner un bouquin fondateur qui est « La machine qui a changé le monde ».
Et c’est l’idée du Lean Management.
Ça vient de l’étude des pratiques de Toyota.
Alors attention, ils ont étudié les pratiques et les outils qu’ils ont codés dans l’idée du Lean.
Fred : C’est quoi l’idée du Lean ?
Parce que là, tu as proposé un nom que je ne peux pas expliquer.
Alexis : Pour simplifier, c’est de réduire les gaspillages, c’est-à-dire de ne faire que ce qui est nécessaire.
C’est d’aller au plus simple de ce qu’il faut faire pour obtenir le résultat voulu.
Ce qui est passionnant comme idée.
Tu as des citations de De Vinci qui parle de simplicité, de Saint-Exupéry.
Tu vois que cette idée de simplicité, c’est quelque chose qui est difficile à accomplir.
Donc il y a plein de choses qui sont très intéressantes.
Ce qui est raté dans pas mal d’implémentations Lean, c’est le fait, ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est les personnes qui sont en train de faire le job, c’est elles qui contribuent.
C’est elles qui ont une influence.
C’est elles qui prennent des décisions.
C’est elles à qui on donne les informations et l’information nécessaire pour qu’elles puissent prendre des décisions et faire évoluer le système.
C’est peut-être cette partie-là qui est ratée dans pas mal d’implémentations qui deviennent plus dirigiste.
Fred : Du haut en bas.
Tu te lances dans ce conseil pour petites entreprises, grandes entreprises.
Alexis : Oui.
Fred : Ça dure combien de temps en fait ?
Alexis : Ça dure quelques années.
Fred : T’es en indépendant ou t’as créé une structure ?
Alexis : On a créé une société.
Un de mes associés, c’est mon épouse.
Isabel
Hello Isabel
Fred : Elle nous écoute ?
Alexis : J’espère.
Je lui ai dit que l’émission commençait à 22h.
J’espère qu’elle nous écoute.
Fred : Si elle veut nous appeler, elle peut d’ailleurs.
Alexis : Ça serait marrant.
Et donc on monte une petite structure avec l’idée que, toujours mon idée, c’est qu’on va faire plutôt des réseaux de petites équipes plutôt qu’une grande organisation.
J’ai toujours cette idée de petites équipes.
Et ça dure quelques années. 2009, je pense que la boîte dure jusqu’à ce qu’on parte aux US.
Ça doit être 2016.
Mais moi je vais arrêter de travailler dans cette boîte en 2013.
En fait, une des startups pour lesquelles je travaillais, dans laquelle je vais finir par travailler de plus en plus, va m’embaucher
Fred : Une startup dont le logiciel libre de mémoire ?
Alexis : Oui, absolument.
Fred : Qui s’appelle Enovance, c’est ça ?
Alexis : Oui, exactement.
Donc là, tu reviens côté logiciel libre, mais pas côté administration, mais côté entreprise.
Et là, ça va être le début d’un gros changement quand même.
Parce que quand tu parles des Etats-Unis, Enovance va être rachetée par une grosse entreprise de logiciel libre qui s’appelle Red Hat.
Et toi, tu vas filer aux Etats-Unis.
Mais tu vas faire quoi chez Red Hat ?
C’est combien d’employés Red Hat à peu près ?
Alexis : À l’époque, quand ils rachètent Inovance, il y a un peu plus de 5 000 employés.
Et donc, par rapport à Inovance, c’est évidemment énorme.
Et en fait, moi, je me dis que mon job, c’est d’aider à trouver une place à toutes les personnes qui sont là, et peut-être de transmettre l’approche que l’on avait, à la fois notre approche d’organisation, qui était basée sur des petites équipes pluridisciplinaires, avec pas de niveau hiérarchique.
Une équipe de leadership et des petites équipes pluridisciplinaires.
Donc ça, c’était l’approche d’organisation.
Et notre approche pour engager avec les clients, où on avait une idée de vraiment, en un workshop, leur permettre d’avoir une bonne compréhension de leur stratégie cloud.
A l’époque, on parle de cloud, alors évidemment, il y a le cloud public qui vient d’émerger.
Et l’idée, c’est de construire des clouds privés.
Fred : Donc l’informatique en nuage.
Alexis : Oui, c’est ça.
Fred : Donc on ne sait pas trop où sont les données, elles sont quelque part.
Alexis : Tu évoquais les centres de données, ben voilà, elles sont dans des centres de données qui appartiennent à quelqu’un d’autre.
Et en fait, ce qui est intéressant, c’est que le directeur technique d’Enovance est vraiment visionnaire dans ce sens-là.
C’est-à-dire, quand eux, ils créent Enovance, ils le créent juste en 2009, Enovance.
AWS, Amazon Web Services, ça a été créé en 2006.
Donc AWS vient d’arriver, et eux, ils disent, lui dit, en fait, ça va poser un problème pour le logiciel libre.
Nous, on fait de l’hébergement de logiciels libres, c’est le métier d’Enovance.
Mais en fait, l’émergence de ce genre de services va poser un problème pour les logiciels libres parce qu’en fait, ils vont utiliser les choses, mais ils ne vont jamais recontribuer.
Alors que nous, quand on rencontre des problèmes, on contribue pour fixer les problèmes.
Et eux, ils ne font pas ça.
Donc ils disent ça déjà, en 2009.
Donc il est vachement intéressant.
Et en fait, quand ils découvrent l’idée de dire, en fait, on commence à avoir vraiment beaucoup de clients, il nous faut un outil pour gérer toute notre infrastructure qu’on déploie pour des clients, dans notre centre de données, enfin, dans nos centres de données, puisqu’on en avait aussi à Montréal, il nous faut un truc pour gérer ça.
Et donc, on va créer un logiciel libre qui va gérer de l’infrastructure et qui va permettre de provisionner rapidement.
Donc en fait, on va créer un logiciel pour fabriquer un cloud.
Donc pas du tout ambitieux.
Il ne manquait pas de niveau d’ambition.
Et en fait, coup de chance, ils ne vont pas le créer.
Ils vont rencontrer un logiciel libre qui se crée à ce moment-là, qui s’appelle OpenStack.
Et du coup, ils vont contribuer à OpenStack.
Ils vont être dans les premiers contributeurs à OpenStack.
OpenStack, c’est un logiciel libre qui a été créé par la NASA et Rackspace, qui était une boîte qui faisait un peu le même job qu’Enovance, donc ça tombait plutôt bien.
Et le truc va avoir une traction assez phénoménale.
Et surtout, notre approche pour développer va faire qu’on devienne des contributeurs en vue.
Et notre approche pour engager avec les clients fait qu’on gagne systématiquement quand on est face à Red Hat, par exemple.
Donc ça va finir par attirer et on va rejoindre Red Hat.
Alors qu’est-ce que je vais faire chez Red Hat ?
Fred : Qu’est-ce que tu vas faire chez Red Hat ?
Alexis : C’est ça.
Au début, je me dis, je vais juste trouver une place pour les gens et après, je vais me remettre, parce que je ne vois pas ce que je vais faire dans une si grande boîte.
Et en fait, je fais un peu de transmission de notre approche d’engagement avec les clients, qui marche bien pour une petite startup, mais moins bien pour une grande boîte où les clients s’attendent à ce qu’il y ait beaucoup d’efforts d’avant-vente qui soient faits.
Alors pour une startup, on pouvait leur dire, écoutez, on n’a pas que ça à faire.
Donc on pouvait avoir une approche un peu différente.
Et le truc que je vais faire, c’est travailler avec l’équipe OpenStack qui existe chez Red Hat, l’équipe produit.
Et on va changer l’organisation en allant vers une organisation à petites équipes pluridisciplinaires, très similaire à ce qu’on avait fait chez Enovance, mais du coup à une échelle un peu plus grande, parce qu’il y a 300 personnes qui sont impliquées là-dedans.
Et du coup, ça marche plutôt bien.
Évidemment, il y a une collection de gens qui sont fascinants et qui sont extrêmement bons, donc ça marche bien aussi grâce à toutes ces personnes.
Ce n’est pas juste parce que je suis venu.
Il faut bien remettre les choses à leur place.
Mais c’est fascinant, c’est super excitant, et du coup, je me vois bien faire ça avec plein d’autres équipes.
Et en fait, un gars qui va s’occuper de recentraliser l’engineering, parce que l’engineering n’est pas reproduit et est très divisé chez Red Hat à ce moment-là, va nous demander de venir avec lui pour créer une équipe de leadership qui est un peu ma marque de fabrique.
C’est créer des équipes de leadership qui se comportent comme des vraies équipes et qui vont diffuser finalement ces principes et ces valeurs dans l’ensemble de l’organisation.
Fred : Alors, le terme leadership que tu viens d’employer pour la première fois, tu l’as entre guillemets formalisé ou utilisé pour la première fois chez Red Hat ou déjà avant, pour toi, il y avait cette notion de leadership qu’on va définir après, ne vous inquiétez pas.
Alexis : En fait, je l’utilise à ce moment-là parce que quand j’arrive dans l’équipe OpenStack, j’ai plein de fonctions qui ont des objectifs différents.
Pour fabriquer un produit, quel qu’il soit, il y a différentes fonctions.
Ça, c’est assez facile à comprendre, même si vous n’êtes pas dans le logiciel, ça vous paraît évident.
Si je vous dis qu’il y a des gens qui définissent un peu le produit, des gens qui le conçoivent, donc ils vont écrire des lignes de code, et puis des gens qui vont contrôler la qualité, ça va vous dire qu’il y a différentes fonctions.
Ça pourrait marcher dans plein de métiers différents.
C’est pas exactement comme ça, mais c’est pas très grave.
Donc, plein de fonctions avec des objectifs différents et qui ont tendance à pas vraiment bien se parler, pas vraiment bien communiquer, à peut-être une tendance à se blâmer les uns les autres pour leur manque de succès.
Et du coup, ça marche pas du tout.
Et en fait, je me dis qu’en fait, il faut changer cette approche.
Il faut mettre ces leaders de ces différentes fonctions, ces managers des différentes fonctions, il faut les mettre ensemble et leur dire en fait, votre responsabilité maintenant ensemble, c’est une responsabilité commune, et vous êtes maintenant l’équipe de leadership de ce produit.
Et donc, j’emploie pour la première fois cette façon d’aborder ça.
Mais pour moi, c’est pas un rôle ou une position.
C’est pas une qualité.
C’est le fait qu’on va travailler ensemble vers un objectif commun.
Et je leur dis, votre responsabilité, c’est de créer les conditions pour que tous les autres, dans toutes vos fonctions, puissent collaborer ensemble sur les différentes parties du produit.
Et donc, l’idée, c’est vraiment de créer des équipes pluridisciplinaires qui vont travailler ensemble.
Donc, on n’est plus avec une fonction qui travaille dans son coin, une fonction qui travaille dans son coin, on est avec des petites équipes pluridisciplinaires qui travaillent ensemble.
Et du coup, qui peuvent travailler ensemble, qui se sentent libres de travailler ensemble et incités à travailler ensemble, parce que quand ils regardent leur patron, ils voient que leur patron travaille aussi avec les autres fonctions, mais juste à un autre niveau de l’organisation.
Fred : D’accord, mais dans ces petits groupes, à chaque fois, il y a un ou une leader ?
Alexis : Non.
Fred : Non ?
Alexis : Non.
On essaye de faire en sorte que finalement, le leadership émerge et que cette possibilité d’exprimer du leadership, donc finalement, de prendre le lead, donc de guider, d’influencer les autres, ça puisse émerger dans l’équipe.
Parce qu’en fonction de tes connaissances, en fonction de ton intérêt, tu peux avoir envie d’impulser, d’influencer à un certain moment.
Et puis, un leader, il va du coup reconnaître que le leadership émerge et se dire « En fait, moi, là, c’est un bon moment pour suivre et pour renforcer cette impulsion qui vient de démarrer » Et sur un autre sujet, c’est peut-être lui qui prendra le sujet.
Et on essaye d’avoir une idée avec des rôles un peu plus fluides.
Donc, on essaye de faire émerger des rôles.
Alors, ceux qui ont entendu parler d’Agile vont reconnaître un peu le sens de ces rôles-là.
On a besoin d’un rôle pour comprendre ce qu’est le produit et ce qu’on doit fabriquer dans une équipe de développement.
Et on se dit « En fait, il nous faut cette connexion-là » Il faudrait que quelqu’un prenne ce rôle de cette connexion.
Et donc, les gens dans les équipes vont définir le terme, ils vont l’appeler le « user advocate », donc l’avocat des utilisateurs, si on veut.
Et c’est super intéressant, parce que quelqu’un va prendre ce rôle-là pour une période donnée.
Il y a des équipes où quelqu’un le prenait pour six mois.
Et puis, il y a des équipes où les gens, ils disaient « Non, moi, je l’ai fait trois mois. C’est crevant. Et en plus, je ne peux pas faire tous les autres trucs que je faisais avant. »
Et donc, ça devient des rôles tournants.
Donc, on essaye de faire émerger des rôles où les gens vont prendre une responsabilité pour l’équipe qui peut être différente.
D’accord.
Je pense que c’est le temps de faire une petite pause musicale pour continuer à parler du sujet du leadership.
Alors, on va écouter « What a Wonderful World » par The Ramones.
On se retrouve dans 2 minutes 20.
Belle soirée d’écoute de Cause commune, la voix des possibles.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Nous venons d’écouter What a wonderful world par The Ramones Bien sûr c’est une reprise de…
Merde, aidez moi.
Alexis : Louis Armstrong.
Fred : Louis Armstrong, grave, excusez-moi.
Vous écoutez toujours l’émission Chemins de Traverse.
Je suis toujours donc avec Alexis Monville.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09.72.51.55.46.
Je vous répète, 09.72.51.55.46.
Ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm.
Bouton chat.
Salon Chemins de Traverse.
Alors juste avant la pause musicale dans la première partie de l’émission, on a vu un petit peu le parcours riche et varié d’Alexis.
On en est arrivé donc à la partie où il a rejoint Red Hat.
Où il a commencé à enfin employer le mot de leadership et même de leadership émergeant.
Donc j’ai envie en fait, pour cette deuxième partie, on va être un peu plus exploré justement ces notions-là.
Je vais te demander tout simplement déjà, comment toi tu définis le leadership ?
Alexis : Alors le truc, c’est que j’ai tendance à regarder le dictionnaire pour savoir comment on définit les mots.
Et ce qui m’a amusé dans le dictionnaire, c’est que tu vois bien que ça commence à être un sujet compliqué. Quand on trouve plusieurs dictionnaires, d’ailleurs, ils ne sont pas complètement tous d’accord.
Donc c’est marrant.
Mais le sens premier du mot, c’est cette idée de guider, d’influencer une personne ou un groupe de personnes vers un objectif commun.
Donc on a cette idée d’objectif commun.
On a cette idée aussi de transformation.
C’est-à-dire qu’on n’est pas dans le statu quo.
Fred : On passe d’un point A à un point B.
Alexis : On a une idée vraiment de changement important qui va se passer.
Et donc on voit que ce n’est pas un rôle.
Ce n’est pas une fonction.
Ce n’est pas quelque chose pour lequel on est nommé.
Mais par contre, dans l’évolution du rôle, on voit que ça peut être la qualité de ceux qui sont leaders.
Ils ont du leadership.
Ou ça peut carrément être le rôle de certaines personnes.
Et du coup, ça devient l’équivalent après dans l’usage commun des gens qui sont tout en haut dans une organisation.
Ils sont tout d’un coup les leaders ou le leadership.
Et puis on se met à nommer des gens leaders de quelque chose.
Et donc on retrouve des gens qui sont tech leads ou leads de je ne sais pas quoi.
Fred : Excusez-moi, mais ça, c’est beaucoup dans l’informatique et dans l’industrie, le terme de lead.
Alexis : Ouais.
Fred : Mais est-ce que ce sont vraiment des personnes qui sont leaders ?
Dans le sens où on l’entend, toi.
Alexis : C’est là où, du coup, on se retrouve avec un vrai problème.
Fred : Est-ce que ce ne sont pas plutôt des chefs, des fois, ou des responsables ?
Alexis : Eh bien voilà, c’est ça le problème, en fait.
Parce que qu’est-ce qui se passe ?
Quand on regarde le sens premier du mot avec cette idée de guider, d’inspirer, d’influencer les autres, en fait, on imagine bien que ça peut être n’importe qui.
Et en fonction du contexte, tu vois bien que tu as prévu de faire un barbecue et tu n’as pas de charbon.
Si tu utilises du charbon.
On peut tous se regarder et se dire comment on va faire pour faire griller nos légumes.
Ou quelqu’un va prendre les choses en main.
Et c’est ça, d’exprimer du leadership, finalement.
Donc on voit bien que ça peut être tout le monde.
Fred : Ça peut être ponctuel, en fait, même.
Alexis : Oui, et c’est ponctuel et c’est fluide.
Et c’est important que ce soit fluide.
Parce qu’à un moment donné, il va falloir que tu te dises bah oui, il faut que j’écoute cette frustration qui est là.
Elle me dit quelque chose.
C’est le moment de passer à l’action.
Et puis, à des moments, ça va être bien de soutenir l’action qui est en train d’émerger.
Et donc, il y a cette fluidité, elle est importante.
Et du coup, quand on se met à nommer les gens dans un rôle de leader, on les met dans un problème.
C’est que tout d’un coup, maintenant, ils devraient exprimer du leadership tout le temps.
Et soit c’est impossible, soit ça devient complètement bizarre.
Fred : Alors, est-ce que c’est pas justement bizarre de se dire qu’on nomme quelqu’un une personne de leader, alors qu’en fait, finalement, la personne devient leader parce qu’elle est reconnue comme leader par les autres.
Alexis : Oui, tout à fait.
Fred : C’est plutôt ça, en fait.
Parce qu’on ne pourrait pas nommer normalement quelqu’un.
Oui, c’est-à-dire qu’en fait, on ne pourrait pas nommer normalement quelqu’un de leader.
Alexis : Et donc, qu’est-ce qu’on essaye de faire ?
On essaie de créer des pseudo-rôles où les gens ne sont pas nécessairement complètement chefs, mais on va leur donner le pouvoir de décision.
On va leur donner le pouvoir de décider pour les autres parce qu’on n’est pas sûr que tout le monde soit d’accord.
Et qu’on se dit qu’on ne va pas trouver le moyen de prendre une décision en étant tous d’accord.
Alors qu’en fait, on sait qu’il y a des processus pour décider de sujets communs et que c’est important de les apprendre, les différents processus, parce qu’ils ont tous des effets de bord.
Donc, en fait, il n’y a pas besoin de faire ce genre de choses.
Il n’y a pas forcément besoin d’avoir un chef, il n’y a pas forcément besoin de nommer quelqu’un qui va avoir le pouvoir de décider.
Fred : Alors, leader, c’est un mot d’origine anglaise, qui, je crois, a été accepté dans les dictionnaires.
Est-ce que toi, tu emploies une version, on va dire, francisée ?
Alexis : Non.
Fred : Non ?
Alexis : Alors, j’ai tendance à pas…
Quand je vais au Québec, généralement, on me le reproche assez souvent que j’émaille mon français de beaucoup de mots d’anglais.
Fred : Je crois qu’au Québec, ils disent aussi leader.
Mais est-ce que, par exemple, je crois que c’est dans la page Wikipédia ou je ne sais plus, où j’avais vu, peut-être, chef de file, meneur, est-ce que c’est la même chose ?
Ça s’en rapproche ?
Alexis : Oui, je pense qu’il y a cette idée…
Meneur, il y a bien cette idée de je mène quelque chose, je guide quelque chose.
Peut-être.
Je ne l’employerai pas et je n’y mettrai pas nécessairement complètement le même sens.
Mais si ça peut aider les gens à mieux embrasser ce que ça veut dire et à peut-être le voir aussi, peut-être plus positivement, ça peut être sympa.
Fred : Oui, parce que…
Quand je t’ai invité dans l’émission, je t’ai prévenu que pour beaucoup de gens, pour pas mal de gens quand même, le terme de leader, de leadership, ça fait penser aussi au développement personnel, ça fait penser à bullshit, pour faire un résumé.
Je te disais que…
J’ai fait, par exemple, en préparant l’émission, j’ai posé la question autour de moi un petit peu en me disant si je vous parle de leader, leadership, qu’est-ce que ça vous évoque ?
Alors il y a une personne, donc je ne citerai pas pour respecter son intimité, qui m’a dit que ça fait partie du vocabulaire du neo-management.
Donc connaissant ces personnes, c’est pas du tout un compliment.
Quand tu entends ça, neo-management…
Alexis : Je suis pas très surpris.
Fred : C’est une mauvaise opinion.
C’est pas vraiment une mauvaise opinion, c’est quelque part une mauvaise image, en fait, la notion de leader.
Alexis : Oui, parce qu’en fait, l’organisation de nos entreprises, et on mérite beaucoup mieux, l’organisation de nos entreprises, en fait, et de toutes les organisations…
Fred : Oui, parce que ça ne concerne pas que les entreprises.
Alexis : Oui.
S’inspire beaucoup d’une vision où il faut un chef et les gens doivent obéir à un chef.
Et cette idée, elle est bien répandue.
Puis il y a la deuxième idée qui est vraiment répandue.
Quelqu’un de vraiment influent dans le domaine de l’organisation des entreprises, c’est Taylor.
Il écrit un bouquin en 1911 pour décrire ce qu’il conseillait et ce qu’il observait dans la deuxième partie de la révolution industrielle, ce qui n’est pas forcément recommandé aux gens.
Donc, la division du travail, en fait, qu’est-ce qu’on est ?
On considère qu’on ne peut pas faire confiance aux gens et qu’il faut diviser le travail et contrôler que le travail est fait.
Fred : Comme dans les temps modernes de Chaplin.
Alexis : C’est ça, c’est ça.
C’est merveilleux.
C’est une merveilleuse illustration.
Et donc, du coup, ça devient tellement…
C’est un phénomène d’illusion collective.
Et finalement, on se met tous à penser qu’on ne peut pas faire confiance aux gens et qu’il faut qu’il y ait un chef qui commande et qui contrôle.
Et on essaie de sortir de ça.
Et en fait, toutes les organisations, elles ont tendance à reproduire ces schémas hiérarchiques de commande et de contrôle et de défiance.
Et en fait, en vrai, ça pourrait fonctionner autrement.
Et d’ailleurs, il y a des entreprises qui sont plus progressives, qui ne sont pas traditionnelles et qui sont organisées complètement différemment.
Et en fait, c’est ça que j’ai envie de faire.
Fred : Est-ce qu’une personne qui est leader, elle décide forcément ?
Alexis : Non.
Fred : Pas forcément ?
Alexis : Ben non, elle va créer les conditions pour que les gens puissent prendre des décisions.
Quand je disais tout à l’heure, je donnais l’exemple, ben oui, un ouvrier qui est sur une ligne d’assemblage et qui voit qu’il y a plusieurs points au-dessus de la moyenne et qu’il y a clairement une dérive du process, il va arrêter la machine et il va dire « Attendez, on a un problème. »
Fred : Et pour toi, ça c’est du leadership ?
Alexis : Ben oui.
Fred : D’accord.
Alexis : Il vient de prendre la décision d’arrêter.
Quand on fabrique, quand on est sur une chaîne de fabrication, le but, c’est de fabriquer.
Dans plein d’endroits, on était même payé au nombre de pièces qui étaient fabriquées.
Ça ne donnait pas des résultats de qualité extraordinaire mais là, il va du coup prendre la décision d’arrêter de fabriquer.
Ça va arrêter tous les autres.
Fred : Donc finalement, le leader, le leadership, ce n’est pas forcément un haut niveau.
Je vais t’expliquer ma remarque, ma question.
J’ai aussi demandé autour de moi, citez-moi des noms de leaders sans réfléchir trop longtemps.
Quel nom vous vient à l’esprit ?
Par exemple, sur le salon web, on m’a cité Jésus, Gandhi, Rosa Parks, Martin Luther King.
Moi, j’ai pensé à Angela Davis.
J’ai pensé à Anne-Sophie Pic, qui est une cheffe trois étoiles.
Sur le salon, on a même dit « j’oserais rajouter Mélenchon avec la capacité qu’il a de déplacer les foules ».
On est sur cause commune.
Et dans d’autres…
Alexis : Ça va, ça n’a pas trop dérivé.
Fred : On m’a aussi cité Mandela.
Je ne citerai pas les autres où ça a un peu dérivé.
Mais, en tout cas, ce sont des gens qui sont au-dessus de la norme quelque part.
Et finalement, ce que tu expliques, c’est que le leadership, ce n’est pas uniquement ces personnes-là.
Je ne sais pas si toutes ces personnes-là, tu considères que ce sont des personnes qui sont des leaders dans celles que j’ai citées.
Alexis : J’ai l’impression que oui, parce qu’elles ont eu cette influence sur d’autres.
Fred : Elles ont mené des autres vers un changement.
Alexis : Exactement.
En tout cas, elles en avaient l’intention.
Et donc, du coup, je pense que ça correspond bien à cette définition.
Le truc, c’est qu’on a tendance… Et là, c’est pour ça que je disais que ça n’a pas trop dérivé parce qu’on n’a pas de style autoritaire ou de gens qui vont décider pour d’autres.
Fred : On a parlé de Mélenchon, là.
Non, c’est une blague.
C’est une blague.
Alexis : Ce n’est pas mal.
Non, mais j’en avais d’autres en tête qui pouvaient être plus autoritaires.
Fred : Tu peux donner un exemple si tu veux.
Alexis : Avec des conséquences plus négatives.
Fred : Donc, un leader peut être négatif, en fait ?
Non, ça peut être les conséquences pour la société ou son environnement qui peuvent être négatives.
Parce que tu emmènes une partie des gens… Je vais prendre un exemple.
Si je prends Napoléon, il y a des gens qui vont trouver que Napoléon, c’est vachement bien.
Alors, ça dépend dans quel pays en Europe.
Mais on peut quand même voir quelques conséquences négatives de tout ça.
Il y a des effets.
On peut rationaliser les aspects positifs.
J’ai absolument aucun doute là-dessus.
On est très bon en histoire pour faire ça.
Mais on peut quand même se dire, est-ce que c’est vraiment ça que j’ai envie d’émuler et de reproduire ?
Bon, peut-être pas.
Tu citais une chef de cuisine.
Fred : Anne-Sophie Pic.
Alexis : Voilà.
Moi, généralement, je pense, quand j’essaie de dire aux gens qu’il y a d’autres postures de leadership, j’essaie de penser à Alexandre Mazzia, qui est aussi un chef étoilé.
Et dans sa cuisine, on ne crie pas, on n’insulte pas les gens, on ne met pas de pression.
Et en fait, quand tu regardes, ils sont très agiles dans leur fonctionnement.
Ils font des petites rétrospectives sur comment ça s’est passé.
Ils contribuent tous à proposer des choses.
Je trouve ça fascinant, leur façon de travailler.
Il a quand même trois étoiles, Michelin.
Ça n’empêche pas à être vraiment très, très bon dans cet environnement-là.
Mais du coup, ça nous définit autre chose comme posture de leader.
C’est plutôt un hôte qui va inviter des gens à venir partager quelque chose.
Et ça, c’est un peu différent quand même.
Fred : Et donc, dans une brigade de cuisine, il peut y avoir plusieurs leaders.
Il y a le chef ou la cheffe.
Et puis, peut-être que dans certains domaines de cuisine, des gens vont émerger.
Parce que l’un de tes…
Dans la description d’émission, ce n’est pas que leadership, c’est le leadership émergeant.
Alexis : L’idée, c’est de réussir à créer les conditions pour que le leadership émerge dans l’organisation.
Donc, en fait, qu’on ait de nouveaux leaders.
Et qu’en fait, idéalement, on puisse tous être leaders.
Alors, je dis bien que c’est idéalement qu’on puisse l’être.
C’est-à-dire que c’est une invitation.
Ce n’est pas une obligation.
Voilà.
Parce qu’il y a des moments dans la vie où tu n’as pas envie, pas l’énergie, pas la possibilité et que tu seras ravi de pouvoir suivre.
Mais ce n’est pas le bon moment pour toi.
Et donc, c’est OK.
Fred : Mais est-ce qu’il peut y avoir deux leaders sur une même thématique ?
Alexis : Oui.
Les gens peuvent être intelligents, en fait.
Fred : Ah ouais ?
Alexis : Oui.
Et en fait, quand tu ne les mets pas en compétition les uns avec les autres, en essayant d’imaginer que quelqu’un va être gagnant, mais quand tu te poses la question de comment on va faire pour que l’équipe puisse, en gros, gagner, accomplir ses objectifs, en fait, tu mets les gens dans une position complètement différente.
Quand tu ne les obliges pas à essayer de gagner par rapport à un autre, tu viens de créer quelque chose de différent.
En fait, c’est bien les conditions que l’on crée qui permettent aux gens de collaborer ou pas.
Fred : Alors, on va revenir sur les conditions.
Je relève une question du salon web de Julie.
« Je m’interroge sur le fait qu’à un moment donné, chacun puisse être, ou chacune, puisse être leader sur un projet. »
Alexis : Oui.
Fred : C’est ça, en fait, Julie.
Alexis : Oui.
Fred : Alors, je ne sais pas si la question peut-être de Julie… Tu t’interroges sur la possibilité… Allume ton micro, Julie, vu que tu es en régie.
Peut-être que tu peux préciser ta question.
Julie : D’après ce que vous avez dit sur l’histoire du barbecue, donc, si à un moment donné, on se sent, comme vous avez dit, on n’est pas fatigué, on est dans les conditions, on se sent l’envie de… leader, et puis on est bon en barbecue, et puis on a vu des choses.
Donc, à ce moment-là, on sera leader, comme dans n’importe quel autre mini-projet ou gros projet.
Donc, chacun, est-ce que chacun peut émerger leader à un moment donné ?
Alexis : Oui.
Et puis, du coup, ça suscite des vocations.
Moi, je vois bien, quand les gens commencent à collaborer pour faire la cuisine, j’essaie de m’éloigner de l’endroit où on fait la cuisine, parce que je pense que mes compétences ne sont pas là.
Mais du coup, je fais d’autres trucs.
Par exemple, je peux faire la vaisselle, débarrasser, puisque ça, c’est moins difficile, c’est plus dans mes cordes.
C’est peut-être moins marrant, mais c’est quand même utile.
Voilà.
Fred : Alors, l’exemple du barbecue est excellent pris par Julie et que tu as pris tout à l’heure pour faire griller les légumes, parce que ça me fait venir une question qui a un rapport.
Les leaders, entre guillemets, alors je vais prendre des gros guillemets naturels ou auto-désignés des barbecues, ce sont les hommes.
Alexis : Ah oui, je n’avais pas pensé à ça.
Fred : Ah bah si, mais attends, je vais compléter par…
Donc, pareil, j’ai demandé autour de moi un petit peu ce que les gens pensaient autour du leadership ou ce qui leur venait à l’esprit.
Et dans une classe d’élèves en éducation spécialisée, pour la plupart, « ça nous fait penser à un terme plutôt utilisé pour les hommes, fort, avec des responsabilités. »
Et donc, j’ai posé la question.
Pour vous, leader, ce serait avant tout un homme.
La réponse a été oui.
D’où le barbecue, où historiquement, enfin, on le sait bien, c’est la chasse gardée des hommes, alors qu’en fait, ça n’a aucun rapport.
Alexis : Oui, non, ça n’a pas vraiment beaucoup de rapport.
Fred : Et donc finalement, les leaders, et en plus, souvent les noms de leaders qui nous viennent à l’esprit sont souvent des hommes.
Est-ce qu’il y a un…
Alors, je ne veux pas dire qu’il y a un leadership féminin, mais est-ce que la possibilité d’accéder à ce rôle…
Alors, c’est pas un rôle, c’est quoi ?
Alexis : Si on n’en fait pas un rôle ni un statut, du coup, la possibilité d’y accéder devient plus simple, puisqu’il suffit de l’exprimer.
Fred : Mais est-ce qu’il est autant ouvert aux hommes qu’aux femmes ?
Alexis : C’est là où je disais qu’il faut créer les conditions pour.
Quand on crée les conditions pour que le leadership émerge, ça devrait être accessible autant aux hommes qu’aux femmes, puisqu’on devrait créer les conditions pour que ce soit accessible aux hommes.
Est-ce que dans notre société, aujourd’hui, ou est-ce que quand on réfléchit à qui sont les leaders, est-ce qu’on pense plus à des hommes qu’à des femmes ?
Bah oui.
Est-ce qu’on a des biais ?
Ah oui, je suis désolé, on en a un, et même moi, en mince.
Fred : Alors, quelles sont les bases pour que ce leadership émerge dans les organisations ?
Quelles qu’elles soient.
Ou même dans les groupes, en tout cas.
Alexis : Déjà d’expliciter que c’est possible, en fait.
En fait, c’est très amusant de voir que tant que tu te dis je vais faire les choses parce que personne ne va le faire, cette hypothèse est vérifiée.
Si tu te dis je vais faire les choses parce que personne ne va le faire, l’hypothèse est vérifiée.
Et il y a une bonne raison pourquoi les autres ne font rien.
Parce que toi, t’es en train de tout faire.
Donc, de toute façon, il n’y a rien à faire.
Si maintenant, tu laisses de la place, il y a du potentiel pour que les autres puissent faire.
Alors après, comme ils ne sont pas habitués à ce que ça arrive, généralement, ils sont un peu sceptiques.
Ils ne sont pas sûrs qu’ils ont le droit, qu’ils ont la permission de.
Et donc, peut-être qu’il faut l’expliciter.
Peut-être qu’il faut l’inviter.
Et comme n’importe quel hôte, on parlait d’Anne-Sophie Pic, d’Alexandre Mazzia, eux, c’est des hôtes qui vont réussir à t’inviter à venir partager ou faire des choses.
Et en fait, c’est amusant comme ça marche.
On a fait un grand séminaire avec Isabel dont on parlait tout à l’heure.
Fred : Isabel Monville, ton épouse.
Alexis : Ouais.
Avec 70 participants.
Et notre client nous a dit en fait, ce qui serait génial, c’est qu’on fasse la cuisine tous ensemble.
Et là, tu te dis, ça va être compliqué, ça.
Eh bien, en fait, ça s’est très, très bien passé.
Alors, ça a demandé un poil d’organisation.
Mais tout le monde avait un rôle.
Ça s’est passé très, très vite.
Et en moins de deux heures, il y avait justement un barbecue.
Barbecue, entrée, dessert, organisation des tables, apéros, machin.
Tout a été organisé par tout le monde.
Tout le monde a eu un rôle.
Fred : Mais comment les rôles ont été définis ?
Se sont auto-choisis les rôles ?
Alexis : Alors, en fait, il y avait quand même quelqu’un qui avait un peu créé de conditions pour que ça puisse s’organiser.
C’est-à-dire qu’il y avait une grande jarre avec des rôles.
Et donc, tu piochais dans la jarre et t’avais ton rôle.
Et donc, t’étais soit aux entrées, soit au barbecue, soit à la préparation des tables, soit, etc., etc.
Et donc, tu piochais et t’avais un rôle.
Et hop, t’étais parti.
Et du coup, tu te retrouvais avec une petite équipe où il fallait faire les entrées, les gars.
Alors, les menus avaient été faits avant, les courses avaient été faites avant.
Il y avait un petit peu d’organisation pour que ça puisse marcher.
Mais du coup, tout le monde pouvait jouer un rôle.
Et tu voyais bien différents styles émerger.
C’est ce qu’on n’est pas habitué.
Fred : Alors, je me demande, est-ce qu’il y a différents styles de leadership ?
Alexis : Je l’évoquais tout à l’heure quand je disais que ça n’a pas trop dérapé sur l’autoritarisme, même si je fais l’hypothèse que ça a dû quand même.
Fred : Je pourrais te citer les noms où il y a beaucoup d’autoritarisme, mais je préfère les éviter.
Alexis : D’accord.
Ok.
Donc, oui, on va décrire différents styles, mais j’insiste.
Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de faire émerger du leadership autoritaire parce que ça n’a pas de sens.
Ce qui m’intéresse, c’est justement cette idée d’empathie, de transparence, où on puisse ensemble prendre les décisions qui nous importent, qui nous concernent et qui vont nous permettre d’avancer ensemble.
Fred : Et tu as aussi employé un terme, empathie, transparence, alignement tout à l’heure.
Ça me parait important ce terme.
Qu’est-ce que tu entends par alignement ?
Alexis : En fait, c’est de réussir à se dire qu’on a des objectifs communs.
Et en fait, on a tous notre propre idée de ce que l’on veut faire dans la vie.
Et ça peut être plus ou moins grandiose, on s’en fout, le problème n’est pas que ce soit grandiose, ce n’est pas ça.
Mais on a tous une envie, une certaine idée de ce que l’on veut faire.
Elle est peut-être plus ou moins floue, plus ou moins définie.
Il y a des gens qui passent plus de temps à y réfléchir que d’autres.
Et c’est ok, ce n’est pas un problème.
Et du coup, quand on réunit plusieurs personnes, elles n’ont pas forcément immédiatement l’idée claire de vers où on va tous ensemble.
Et en fait, c’est important d’avoir cette compréhension, de construire cette compréhension commune.
Et ce n’est pas évident, ça paraît évident comme ça, évidemment, puisqu’on est dans la même équipe, on va tous dans la même direction.
Ce n’est pas complètement vrai.
Et ça peut se passer dans des projets associatifs ou dans des entreprises.
Ce n’est pas réservé au domaine des grandes entreprises.
Cette idée qu’il faut réussir à construire ensemble cette direction commune et ces objectifs partagés.
Et c’est ça, pour moi, c’est aligner.
Et une fois qu’on est alignés, du coup, on se retrouve à ramer dans la même direction.
L’image des rameurs sur un bateau n’est peut-être pas idéale, mais c’est un peu l’idée.
Fred : Ça dépend lesquels.
Alexis : La première qui m’est venue.
Fred : Si c’est dans les galères, ce n’est pas terrible, mais si c’est dans l’aviron, ça va.
On va dire que c’est pas mal.
Alexis : On va prendre l’avion.
Fred : Dans un livre de Jim Collins, je ne sais plus qui est Jim Collins, je crois qu’il est un ancien prof à Stanford.
Et aujourd’hui, il conseille des organisations.
Il parle notamment de leadership et un certain nombre de caractéristiques des leaders.
Par exemple, lui, il considère qu’un leader doit avoir une personnalité modeste qui permet à l’organisation de donner toute sa mesure, au contraire de leaders charismatiques, égocentriques qui écrasent souvent les équipes qui les entourent.
Alexis : C’est intéressant.
Jim Collins, j’aime beaucoup ses bouquins.
Il n’y a pas de problème là-dessus.
Quand il parle de leader, là, il faut être clair, il parle des dirigeants des entreprises qu’il a étudié.
Fred : Effectivement.
Alexis : Dans ce contexte-là, c’est ça.
Fred : C’est un type d’entreprise.
Il a étudié les entreprises.
Alexis : Il a étudié les entreprises et quand il parle de leader des entreprises, il parle des dirigeants de ces entreprises.
Il identifie le leadership à un rôle, une fonction de direction de l’entreprise.
Mais quand il parle de leur style de leadership, il parle en effet du leadership tel que je l’ai défini tout à l’heure.
C’est assez intéressant.
En fait, quand il parle du style de leadership, on voit bien qu’il évoque l’humilité, ou il évoque une personnalité égocentrique qui va écraser tous les autres sur leur passage.
Tu vois bien qu’il y a deux styles qui sont quand même radicalement différents.
Et dans toutes les entreprises qu’il étudie, il regarde celui qui est en train de construire quelque chose pour lui, en gros pour extraire le maximum de valeur pour sa pomme par rapport à une organisation, ou celui qui est en train de construire quelque chose pour que l’organisation serve un but, quel qu’il soit, et qui va tout faire pour que l’organisation puisse mieux servir ce but, mais qui se met finalement de côté par rapport à ça, évidemment, ils n’ont pas du tout le même style.
Ce qui est intéressant, c’est que dans les études qu’ils font, l’impact que ça a sur les résultats de ces entreprises, de toutes ces organisations, sur le long terme, puisqu’ils font des études sur plusieurs dizaines d’années, l’impact est radicalement différent.
Il y en a beaucoup qui disparaissent de ces entreprises, dans le cas du leader qui écrase tout le monde sur son passage, ou alors ils sont remplacés, et au fur et à mesure, ils ne durent pas très longtemps.
Fred : Et le leader qui est avant tout là pour sa propre avancée, plutôt que de faire avancer le collectif.
D’ailleurs, ce qu’il dit a un moment, c’est un leader qui va réussir quelque part par rapport au collectif, c’est une très forte ambition, avant tout, pour que la structure soit la meilleure.
Ce n’est pas une très forte ambition pour le leader, la personne, mais pour la structure, pour le collectif.
C’est un leader ou une leader ?
Comment on dit en féminin ?
On dit une leader ou une leadeuse ?
Alexis : Écoute, je ne sais pas.
Je suis très embêté depuis ce point.
On imagine que les leaders sont des hommes, ça m’embête, mais je ne sais pas.
C’est très embêtant.
Fred : On va dire leadeuse.
Est-ce qu’un leader ou une leadeuse doit avoir une forte personnalité ?
Est-ce que c’est obligatoire ?
Alexis : Je ne crois pas.
Non, parce que j’ai vu des gens qui ne sont pas ceux qui parlent le plus fort, ceux qui parlent nécessairement le mieux, ceux qui vont s’imposer sur quelque chose et qui vont avoir énormément de leadership, énormément d’influence sur le collectif, parce que les autres vont leur reconnaître cette influence et vont les écouter.
Ce n’est pas parce qu’ils parlent le plus fort, parfois, c’est même parce qu’ils parlent le moins fort.
Fred : On a pris des exemples tout à l’heure de noms cités de leaders, dont l’un est actuellement le leader, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon.
En tout cas, il est vu par ses troupes comme le leader.
Mais il se pose une question, c’est que les gens ne sont pas immortels.
Il se pose la question de la succession.
Comment une personne qui, à un moment, est leader ou leadeuse, va préparer cette succession ?
Notamment dans des organisations aussi importantes qu’un parti politique, ou qu’une entreprise, ou qu’une association d’ailleurs.
Comment se prépare-t-elle cette succession ?
Est-ce qu’elle doit se préparer ?
Alexis : Oui, elle doit se préparer parce que les gens vont identifier l’organisation à la personne qui l’a créée, par exemple.
Et donc, ça arrive pour des startups, mais ça arrive à des plus grandes organisations, même celles qui ont des organisations très horizontales.
Et du coup, il faut préparer cette succession parce que quand cette figure fondatrice s’en va, même si quasiment rien ne repose sur elle, ça peut déstabiliser l’organisation.
Et donc, en fait, ça doit être préparé.
Et en fait, il y a différentes stratégies pour le faire.
Je parlais des rôles qui sont plus fluides.
Et donc, si tu as des rôles plus petits et que tu peux cumuler plusieurs rôles dans une organisation, au bout d’un moment, ce fondateur de l’organisation, il peut ne plus avoir de rôle ou un rôle de communication ou de représentation qui est un tout petit rôle par rapport à l’ensemble des rôles qui sont distribués dans l’organisation.
Et finalement, ça rassure tout le monde que ce petit rôle-là, il peut le passer à quelqu’un d’autre.
Et est-ce qu’on a besoin d’une figure tutélaire ou de quelqu’un qui va décider de tout ?
Non.
Il y a des organisations qui montrent ça.
C’est amusant.
Il y a une organisation qui fait du soin à domicile au Pays-Bas qui s’appelle Buurtzorg.
Ça a été monté par des infirmiers et infirmières qui en avaient marre de travailler pour ces grandes boîtes qui ont adopté des grands principes de taylorisme pour aller faire du soin à domicile.
Et parce qu’ils ne pouvaient pas avoir une relation de suivi avec les patients.
Donc, ils ont décidé de monter une boîte eux-mêmes pour faire du vrai suivi avec leurs patients en disant que tout est codifié dans le domaine de la santé.
Oui, faire une piqûre, c’est codifié.
Tenir la main d’un patient pendant 10 minutes pour le rassurer, ce n’est pas codifié.
Mais si on veut garder les gens autonomes et responsables le plus longtemps à domicile, en fait, tenir la main, c’est un truc important.
Et ça, tu le sais si tu as un suivi régulier.
Ils ont monté cette boîte et là, on peut imaginer quelques infirmiers qui se mettent ensemble pour faire du soin à domicile.
Après tout, on arrive à se l’imaginer.
Je vais vous donner un autre chiffre maintenant.
Maintenant, ils sont 11 000 dans cette organisation.
Ils ont pris la moitié du marché des soins à domicile à Pays-Bas.
Et l’autre chiffre qui est vraiment important, c’est qu’en termes de fonction support, ils sont moins de 50 personnes.
Ils sont tous organisés en petites équipes de maximum 12 personnes.
C’est-à-dire que quand ils pensent qu’ils pourraient augmenter leur zone géographique où ils interviennent, s’ils sont déjà 12, il faut créer une nouvelle équipe.
Et donc, ces fonctions support sont réduites au minimum.
Fred : Pourquoi 12 ?
Alexis : Parce qu’au-delà d’un certain nombre, tu as plus de difficultés à être très proche des gens et ça multiplie les canaux de communication.
Et donc, ça rend les choses plus compliquées.
Ça rend la communication plus compliquée, etc.
Fred : C’est empirique, dans leur cas ?
Alexis : Dans leur cas, c’est empirique, oui.
Tu as une autre boîte où ils sont énormément, qui sont organisés en micro-entreprises de maximum 15 personnes.
Pour vous donner une idée, ils sont 120 000.
Et ils sont organisés en micro-entreprises de 15 personnes, qui ont soit des clients externes, soit internes, soit les deux.
Donc, c’est tout à fait possible d’avoir des entreprises de taille gigantesque organisées en petites équipes pluridisciplinaires qui se démerdent toutes seules.
Il n’y a pas de problème.
Fred : Alors, il nous reste peu de temps.
Avant de te faire parler de ce que tu fais actuellement, parce que tout à l’heure, on était resté Red Hat, entreprise américaine à Boston, mais tu n’es plus à chez Red Hat, maintenant tu es de retour en France.
Mais avant que tu parles de ça, de ta structure que tu as créée avec Isabel Monville, ton épouse, je vais juste te faire réagir sur…
J’ai regardé un petit peu des définitions de leadership et j’ai trouvé une description dans une conférence TEDx.
C’est des conférences très courtes.
La personne dit, « le rôle d’un leader est de préparer la scène et non de s’y produire. Si nous voulons créer un meilleur futur, et je pense que c’est pourquoi beaucoup d’entre nous sommes ici, il faut que nous réinventions notre tâche. Et notre tâche est de créer un environnement dans lequel les talents de chacun et chacune puissent être à son plein potentiel et devenir une partie de l’ingéniosité collective.
Alexis : Ça me parle pas mal.
Maintenant, je suis très inquiet de savoir qui l’a dit.
Fred : Je retrouve le nom parce que c’est dans mes notes et je ne suis pas sûr.
Je crois que c’est dans la conférence, mais je vérifierai et je le mettrai sur les notes de l’épisode, de l’émission.
Je crois que c’est « Comment développer la créativité de vos collaborateurs et collaboratrices » par Linda Hill, mais je vérifierai exactement.
Alexis : En tout cas, oui, ça me paraît vraiment aligné avec ce que je pense.
Fred : On va finir les quelques minutes qui nous restent rapidement sur ce que tu fais aujourd’hui.
Tu étais à Boston.
On ne va pas expliquer pourquoi, mais tu rentres en France.
Tu quittes Red Hat.
Tu te lances dans un nouveau projet avec ton épouse, Isabel de Montville, qui s’appelle Pearlside.
C’est quoi ce projet ?
Ça fait un an, c’est ça ?
Alexis : Ça fait un an, exactement.
C’est quoi ce projet ?
Après presque dix ans passés chez Red Hat, je me suis dit que si je voulais faire autre chose dans la vie, il fallait que je m’y mette maintenant parce qu’à un bout d’un moment, j’allais vraiment être trop vieux.
Pourquoi ça s’appelle Pearlside ?
Parce que Pearlside, c’est un anagramme de leadership.
Enfin, presque.
Fred : Oui, presque.
Alexis : A un lettre près. La plupart des gens ne le voient pas.
Pourquoi ?
Parce qu’on s’intéresse justement à cette idée de leadership et on s’intéresse à faire émerger des leaders et à créer des équipes de leadership.
Pourquoi on fait ça ?
Justement pour aller vers des organisations qui sont différentes et qui s’échappent des modèles traditionnels.
Des organisations où l’information va être partagée.
On a évoqué la transparence.
La façon dont est partagée l’information, c’est un des grands critères qui va définir une organisation.
Le système de récompense, c’est quelque chose qui va définir une organisation.
Des organisations progressistes qui partagent les profits entre les propriétaires et les gens qui travaillent, c’est intéressant.
Et ça change la façon dont les gens se comportent.
Des organisations qui définissent dans le système de récompense que le salaire maximum ne peut pas être plus de X fois le salaire minimum, ça change les rapports dans l’entreprise.
C’est peut-être une bonne chose de repenser ces choses-là à un moment donné.
Des organisations qui n’ont pas besoin d’avoir 50 niveaux hiérarchiques, c’est peut-être pas mal aussi.
Des organisations où on peut avoir plusieurs rôles et où les rôles sont plus fluides, c’est peut-être pas mal aussi.
Et en fait, quand on regarde, quand je dis que c’est peut-être pas mal aussi, les chiffres me donnent vraiment raison.
C’est vraiment beaucoup mieux en termes de productivité, tout bêtement, pour prendre des chiffres bien concrets, en termes de satisfaction des clients et surtout en termes de satisfaction des employés.
Et en termes d’engagement des personnes, on est dans des mondes différents.
On est, dans le monde des entreprises traditionnelles, on est à l’employé sur quatre qui est engagé.
Voilà, c’est pas mal.
Dans le monde de ces boîtes-là, on est plutôt à plus de 75%.
Donc on vient de changer quand même vraiment les règles.
Et des gens qui se sentent mieux dans ce qu’ils font, moi je pense que c’est une bonne idée.
Et des gens qui ont plus d’impact et où ça se voit, que c’est perçu par leurs clients, internes ou externes, je pense que c’est plutôt une bonne idée et c’est ça qu’on a envie de construire.
Et ça s’appelle Pearlside pourquoi ?
Au-delà d’être un anagramme de leadership, parce que quand on pense à un grain de sable, on peut penser à quelque chose qui va gripper un mécanisme bien huilé.
Et nous on préfère penser qu’un grain de sable c’est aussi ce qui va créer une perle.
Fred : Ce qui peut créer aussi du verre quand il est bien chauffé, ouais.
Et donc là vous travaillez à deux, c’est vraiment…
Alexis : C’est le tout début, ouais.
Fred : Il y a une volonté de grossir ou c’est une volonté de rester à deux ?
Alexis : Alors on n’est pas encore complètement figés là-dessus.
On aimerait bien à un moment donné que d’autres nous rejoignent sous cette bannière Pearlside.
Pourquoi ?
Parce que on est souvent la moyenne des gens qui nous entourent et on a envie d’être aussi challengés dans notre façon de penser, dans nos approches.
Et s’il y avait d’autres personnes qui ont envie de nous rejoindre, ça nous challengerait un peu.
Ça créerait de l’émulation et ça nous permettrait aussi peut-être de travailler sur des projets différents.
Fred : Et c’est quoi votre type de client actuellement ?
Alexis : Alors on a deux grandes catégories de clients.
C’est soit des startups où on travaille plutôt avec les fondateurs pour les extraire de ce mode où tout repose sur le fondateur et plutôt les amener justement à créer des équipes, une équipe de leadership qui va les enlever de la photo progressivement pour éviter qu’ils soient sur toutes les photos et sur toutes les décisions et sur toutes les actions.
L’analogie avec le sport collectif va bien.
T’imagines que si t’as le fondateur de l’équipe qui court après tous les ballons, ça va pas marcher.
Et aussi des entreprises plus grandes qui ont déjà grandi et qui ont besoin d’adapter leurs modèles parce qu’elles ont souvent grandi avec des modèles traditionnels et qui sont plutôt rigides, qui ont plutôt tendance à éteindre la créativité et l’innovation et à désengager les gens et donc ils ont besoin d’aller vers des modèles un peu différents.
Fred : D’accord.
Je voulais une question de Julie sur le salon web.
Est-ce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui utilisent ces organisations de travail ?
Alexis : Alors il y en a pas mal.
Elles sont méconnues et on a généralement, quand je vous raconte Buurtzorg, ou l’autre, vous êtes tout à fait étonné, ça vous paraît des anomalies.
C’est presque des anomalies mais il y en a de plus en plus des entreprises comme ça et c’est bien.
Je pense qu’il y en aura encore de plus en plus si on les fait connaître et si on montre qu’en fait c’est possible de s’organiser vraiment différemment et parce qu’à un moment donné, les gens n’auront plus envie d’aller travailler dans les autres entreprises.
Voilà, j’espère.
Fred : Oui parce que finalement il y a aussi un enjeu de plaisir au travail.
Alexis : Oui.
Fred : Et de sens.
Alexis : Du coup, si je me fais plaisir, si je maîtrise ce que je fais, si j’ai de l’autonomie dans ce que je fais et si ça a du sens, normalement, oui, je me lève le matin et j’ai envie d’y aller.
Fred : Et le dimanche soir, on n’a pas le blues du dimanche soir.
Alexis : C’est ça.
Fred : Normalement.
Alors il nous reste encore quelques minutes mais je vais quand même, avant d’oublier, parce que c’est… on va essayer d’avoir cette question rituelle même si on ne l’a pas fait tout le temps.
Donc qui n’a absolument rien à voir avec le sujet.
As-tu envie de nous partager quelque chose qui t’a émerveillé ou fait du bien dernièrement ?
Alexis : Le truc que j’ai envie de partager, il est un peu paradoxal.
C’est un livre qui… dont je n’ai pas le titre en français, là, comme ça, ça ne me vient pas.
C’est Amusing Ourselves to Death.
Donc c’est Se divertir jusqu’à la mort.
Donc évidemment, parler comme ça et l’émerveillement est peut-être un peu loin.
Alors, pourquoi j’ai lu ce livre qui a été écrit dans les années…
Fred : L’auteur, c’est qui ?
Tu te souviens ?
Alexis : Neil Postman ?
Peut-être.
Je ne suis pas complètement sûr.
Pourquoi j’ai lu ce livre ?
Parce que ça fait partie des bouquins que j’avais demandé à…
Comme je travaillais avec pas mal d’Américains, ils utilisaient des références que je n’avais pas, puisque forcément, je n’ai pas fait mes études là-bas.
Et donc, j’ai demandé à ma fille, qui, elle, était aux Etats-Unis pour son lycée et l’université, du coup, de me donner des références que les autres avaient.
Donc, il était parmi ces références.
J’ai mis du temps à le lire parce qu’un bouquin écrit dans les années 80, qui parlait de l’influence de la télévision sur la façon de penser et d’éduquer aux Etats-Unis, je voyais pas bien le point.
Bon.
Alors, je l’ai lu.
Et du coup, ça m’a fasciné sur, en effet, comment finalement, des inventions, comme le télégraphe, comme l’imprimerie, bien sûr, mais ça, ça vous paraît évident, l’éducation, elle passe du système oral, à un moment donné, on invente le papier, on invente l’écriture, et puis, à un moment donné, on invente l’imprimerie, ça change la façon dont on peut diffuser de l’information et de l’éducation.
À un moment donné, on invente le télégraphe, et ça va créer de l’instantanéité.
Puis on va avoir la radio, et on va avoir la télévision, et à un moment donné, tout va devenir du divertissement.
Et du coup, un bon prof, c’est un prof qui est divertissant.
En fait, ça change l’éducation, et ça change notre façon de penser.
Tu faisais référence à TED, ben oui, à un moment donné, notre temps d’attention, il est tellement court que 20 minutes, c’est déjà super long.
Fred : Est-ce que tu peux juste rappeler ce que sont les conférences TED ?
Je l’ai fait très rapidement, mais vas-y.
Alexis : Les conférences TED, c’était créé dans les milieux des années 80, pour avoir des conférences sur les technologies, le divertissement et le design, et dire, on va partager des idées qui peuvent changer le monde.
Vachement intéressant, super format, de plus en plus professionnel, de plus en plus coaché.
Fred : Format très court, 12-20 minutes maximum, et en utilisant le parcours de la personne comme support des messages.
Alexis : Exactement.
Et donc, plutôt intéressant, plutôt bien fait, dans pas mal de cas, mais pas du tout du niveau de la première partie du XIXe siècle, et des débats dans les librairies publiques où le débatteur 1 avait une heure et demie pour parler, le débatteur 2, une heure et demie pour parler, et ensuite, ils avaient une heure pour clôturer le débat.
Et là, tu te dis, les gens allaient voir des débats comme ça.
Moi, je ne sais pas si je pourrais écouter quelqu’un pendant une heure et demie.
Fred : Tu sais qu’il y a des gens qui sont en train de nous écouter une heure et demie là, quand même.
Alexis : Oui, j’espère qu’ils vont pouvoir.
Mais tu vois, la conversation qu’on a, ce n’est pas la même chose qu’un speech d’une heure et demie.
Donc, en fait, évidemment, notre façon d’interagir, elle a changé.
Et puis là, évidemment, si tu te dis, avec l’émergence du web, l’émergence des réseaux sociaux, l’émergence des formats encore plus courts, beaucoup plus courts, on voit que notre temps d’attention va changer, et notre façon de penser change.
Et donc, on peut se dire, bah tiens, c’est terrible tout ça.
Et donc, pourquoi ça m’a émerveillé ?
Ça ne m’a pas émerveillé pour le livre, ça ne m’a pas émerveillé pour le constat du regard du monde que j’ai eu autour de moi, mais c’est plutôt par les conversations que j’ai eues à propos de ce livre, et avec cette idée de se dire, mais oui, en fait, je ne suis pas tout seul à penser différemment.
Je ne suis pas tout seul à penser comme ça.
Il y a d’autres gens autour de moi qui pensent comme ça.
Et bien, c’est peut-être travailler avec eux, collaborer avec eux, qu’ils soient proches ou loin, pour avoir une influence sur le monde qui serait bien.
C’est comme ces paysans qui partagent des semences pour assurer de la biodiversité, ou c’est comme ces artisans du logiciel qui font du logiciel libre, comme tu l’évoquais avant.
Bah oui, on peut peut-être trouver des gens qui peuvent nous aider dans nos avancées, dans nos… à accomplir les choses que l’on a envie d’accomplir, et on n’est pas tout seul.
Et en fait, il ne faut pas croire qu’on doit se résoudre à la peur ou à l’impuissance.
On peut faire autre chose et on peut le faire ensemble.
Fred : C’est une belle conclusion d’émission, surtout dans cette période très trouble.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Alexis : Écoute, non, là, je me dis, maintenant que tu as dit que c’était une belle conclusion, je pense qu’il faut qu’on reste là-dessus.
Fred : Avant de désannoncer l’émission, j’encourage aussi les gens à regarder ou chercher Alexis Monville et Isabel Monville sur Internet, parce qu’il y a des vidéos où vous avez fait des présentations à deux qui sont vraiment toujours très très intéressantes.
Alexis : C’est les meilleurs quand on est tous les deux, mais il faut que j’arrive à convaincre Isabelle qu’il faut le faire.
Fred : Alors, tu sais que j’avais envisagé que vous la fassiez à deux l’émission, mais je sais que c’est assez compliqué.
En tout cas, on la salue.
Et en tout cas, cherchez ce duo Isabel Monville et Alexis Monville.
Vous verrez des présentations sur des thèmes dont on a parlé tout à l’heure mais qui sont présentées à deux et c’est vraiment super.
En tout cas, un grand merci à Alexis.
Je vais rappeler ton site web aussi, alexis.monville.com ou monville.com, vous retrouverez aussi le site d’Isabel.
L’émission va bientôt se terminer.
Vous pouvez vous abonner au podcast, à la lettre d’actu de l’émission.
Les infos sont sur le site causecommune.fm.
Chemins de Traverse est en direct tous les mercredis à 22h.
Merci à vous d’avoir écouté l’émission.
N’hésitez pas à nous faire des retours.
Un formulaire de contact est disponible sur la page de l’émission sur le site causecommune.fm.
Tu parlais tout à l’heure de Saint-Exupéry.
Nous sommes ravis de vous avoir fidèles au rendez-vous régulier avec Chemins de Traverse le mercredi à 22h ou encore en podcast. Antoine de Saint-Exupéry nous rappelle d’ailleurs l’importance des rendez-vous réguliers et des rites. Dans le livre Le Petit Prince, il y a à un moment la rencontre du Petit Prince avec un renard. Ils discutent. Le lendemain, Petit Prince revient mais pas à la même heure. Le renard lui dit « Il eut mieux valu revenir à la même heure. Si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur. Il faut des rites ». Donc, merci à vous pour votre présente régulière chaque mercredi à 22h sur causecommune93.fm et en DAB plus en Ile-de-France, partout dans le monde sur causecommune.fm.
Juste après à 23h30, une émission inédite de Minuit Décousu qui ouvre les portes des cuisines, des brigades dans l’ambiance paramilitaire, pas tout le temps, des restaurants étoilés aux cuisines collectives.
Mercredi 13 novembre, notre invitée sera Emeline Parizel.
Alors Emeline est ingénieure de formation, sensible à l’art, à l’économie du don et aux changements climatiques. Au niveau professionnel, elle est cheffe de projet web et félicitatrice graphique. A côté de son travail, elle multiplie les engagements : fresque du climat, fresque du numérique, organisatrice de conférences et d’autres que vous découvrirez lors de l’émission. Elle est également vélo taffeuse et adapte du voyage à vélo, sur des circuits courts et aussi sur des circuits un petit peu plus longs genre Paris-Athènes 4 °00 km à vélo en 40 jours, en en parlant à la semaine prochaine. Et cerise sur le gâteau, elle sait partager ses passions avec une très belle énergie communicative, vous allez aimer découvrir la pétillante Emeline Parizel.
On se donne donc rendez-vous mercredi 20 novembre, salut et solidarité.
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10e émission Chemins de traverse diffusée en direct mercredi 13 novembre 2024 à 22 h
Notre invité, Alexis Monville, nous embarque dans un parcours riche et varié. De l’industrie automobile, une start-up Internet, le secteur public (administration électronique) et le conseil en organisation, jusqu’à la direction d’une grande entreprise de logiciels libres, il a traversé des univers divers et complémentaires. Ensemble, nous plongerons dans les expériences qui ont jalonné ce chemin et explorerons sa grande passion : « Le leadership émergent – l’art de révéler le potentiel des équipes et des individus ».
Vous pouvez lire la transcription.
Références et liens
- Site web d’Alexis Monville
- Livre « Se distraire à en mourir » de Neil Postman
À l’oreille
- What a wonderful world par The Ramones
- Schmaltz par Jahzzar (générique)
Intervenir en direct
- Vous pouvez nous rejoindre sur le salon web de l’émission pour participer à notre discussion en direct, nous contacter ou nous laisser un commentaire.
- Pendant le direct, vous pouvez aussi nous appeler au 09 72 51 55 46
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Transcription
Note concernant la transcription : nous avons choisi, comme le préconise l’article Pourquoi et comment rendre accessible un podcast ?, une transcription fidèle aux propos tenus, sans suppression des tics de langage (les phrases qui ne finissent pas (…), les répétitions, les onomatopées).
Voix du générique (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, Chemins de Traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Fred : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous pour ce dixième épisode de Chemins de traverse, d’autres voies pour imaginer demain.
Dans Chemins de traverse, Julie, Élise, Mehdi et moi-même Fred, nous espérons vous proposer de belles rencontres et mettre en avant des parcours personnels et professionnels, des passions, des engagements.
Ce soir, on va notamment parler de leadership.
Si vous vous dites, c’est quoi cette foutaise, rassurez-vous, je connais notre invité depuis plus de 20 ans et c’est l’une des personnes que j’apprécie le plus.
Dans l’émission de ce jour, nous allons donc vous faire découvrir Alexis Monville, qui va nous embarquer dans un parcours riche et varié, de l’industrie automobile, une start-up internet, le secteur public, administration électronique, et le conseil en organisation, jusqu’à la direction d’une grande entreprise de logiciels libres. Il a traversé des univers divers et complémentaires.
Ensemble, nous plongerons dans les expériences qui ont jalonné ce chemin et explorerons sa grande passion, le leadership émergent, l’art de révéler le potentiel des équipes et des individus.
Bonsoir Alexis.
Alexis : Bonsoir Fred.
Fred : Avant que la discussion ne commence, je vous rappelle que nous sommes en direct ce mercredi 13 novembre 2024 sur Radio Causes Communes, la voix des possibles, sur 93.fm et en DAB+, en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
N’hésitez pas à participer, à intervenir en direct.
Pour cela, notre téléphone est branché.
Et Julie, bonsoir Julie.
Julie : Bonsoir, bonsoir à tous.
Julie vous attend en régie.
Fred : Vous pouvez nous appeler au 09 72 51 55 46.
Je répète, 09 72 51 55 46.
Ou alors, vous pouvez réagir sur le salon web de la radio.
Rendez-vous sur le site causecommune.fm.
Bouton chat, salon, Chemins de traverse.
Alors Alexis, on va commencer par une première question, qui est très simple en fait.
Tu vas avoir un petit défi quand même, parce que le leadership, ça peut être connoté négativement pour plein de personnes.
Alors donc, pourquoi au-delà de ton parcours, nos auditrices et auditeurs doivent écouter l’émission, même si certaines peuvent avoir un a priori négatif sur cette notion de leadership ?
Alexis : Alors déjà, ça ne m’étonne pas qu’ils aient un a priori, enfin qu’ils puissent avoir un a priori négatif sur le leadership.
Parce qu’il est un peu mis à toutes les sauces.
Et donc, je comprends ça.
On pense à distance, autorité.
Il y a plein de mots qui peuvent venir avec ça.
Et ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler, mais pas du tout, du tout.
J’ai plutôt envie de parler d’empathie, de transparence, d’alignement.
Vous savez, cette expérience, quand on est dans une équipe et que soudainement, on a l’impression qu’on peut soulever des montagnes, c’est plutôt de ça dont j’ai envie de parler.
Fred : D’accord, écoute, super.
Alors nos auditrices et auditeurs connaissent un petit peu le principe de l’émission.
C’est un parcours, principalement, qu’on va aborder.
Et puis, avec des passions, des engagements.
La passion principale, ce sera le leadership, les individus, les personnes.
Mais on va quand même parler un petit peu de ton parcours pour savoir un petit peu ce qui t’a amené là.
Et puis pour te découvrir un peu plus.
Parce que voilà, tu as un parcours riche et varié.
On ne va pas tout voir parce que sinon, on pourrait y passer l’heure et demie entière.
Alexis : Même moi, ça m’ennuierait.
Ce serait catastrophique.
Fred : Donc, on va voir certains points.
Je ne sais pas.
En tout cas, on va balayer un petit peu ton parcours.
Alors, on va commencer.
Toi, tu es diplômé d’ingénieur mécanique.
Alexis : Oui.
Fred : Alors, j’avoue que je ne serais pas tout à fait capable de dire ce qu’est un…
Je vois à peu près ce que c’est qu’un ingénieur mécanique.
Mais je n’en suis pas totalement sûr.
Est-ce que tu peux me dire, c’est quoi ce métier, cette activité d’ingénieur mécanique ?
Alexis : C’est amusant parce que ça fait tellement longtemps que je ne suis même pas sûr de savoir moi-même.
En fait, l’ingénierie, c’est apprendre à construire des choses, en fait.
Si tu veux, en simplifiant radicalement les choses.
Donc, le rêve d’un ingénieur, c’est de fabriquer des choses qui vont résoudre des problèmes, qui vont apporter des choses aux gens.
Et généralement, tu assembles des pièces mécaniques.
Tu fais des constructions mécaniques.
Donc, des choses qui s’assemblent, qui bougent.
Ça pourrait être un moteur, par exemple.
Fred : D’accord, dans l’automobile, par exemple.
Alexis : Par exemple.
Fred : D’accord.
On va y revenir juste après parce que justement, c’est là une de tes premières expériences.
Mais alors, quand tu étais plus jeune, qu’est-ce qui t’a amené à ça ?
Est-ce que tu as été tout de suite intéressé par ce genre de choses ?
Ou est-ce que tu imaginais, quand tu étais plus petit ou plus jeune, de faire d’autres activités que de devenir ingénieur mécanique ?
Alexis : Ah oui, alors du coup, on va commencer très tôt.
En fait, le premier truc que je voulais faire quand j’étais gamin, c’était astrophysicien.
Fred : Très ambitieux, en tout cas.
Alexis : Oui, très ambitieux.
Mais le truc qui va faire vraiment rire tout le monde, c’est pourquoi je voulais être astrophysicien.
En fait, je voulais être astrophysicien parce que j’avais vu à la télévision.
Je ne regardais pas beaucoup la télévision.
Mes parents étaient assez stricts là-dessus.
J’avais vu à la télévision un gars en interview.
Et ce gars s’appelait Hubert Reeves.
Et en dessous de son nom, c’était écrit astrophysicien.
Et le gars a parlé.
Et j’étais captivé tout le temps où il a parlé.
Et je me suis dit, moi, je veux faire ça.
Je veux faire astrophysicien.
Je n’avais pas du tout compris ce que c’était, mais je voulais faire ça.
Donc, c’était ça mon premier truc.
Et je me suis beaucoup documenté.
J’ai écrit au Centre d’information et de documentation pour la jeunesse.
J’en ai écrit une longue lettre.
J’avais 10-12 ans, peut-être un peu moins, une dizaine d’années.
Et ils m’ont renvoyé un grand dossier pour m’expliquer comment on devenait astrophysicien.
C’est quand on a reçu le dossier que mon père m’a dit, je ne crois pas que ça marche comme ça, en fait, le Centre d’information et de documentation pour la jeunesse.
Je ne crois pas que tu leur renvoies un courrier qui te renvoie un truc.
Donc là, c’est quand même assez extraordinaire.
Et du coup, j’ai appris que ça pouvait marcher comme ça.
Et donc, j’ai continué à leur écrire pendant des années au fur et à mesure que j’ai changé d’idée.
Fred : D’accord.
Et donc, tu as évolué dans différentes idées avant d’arriver sur cette activité, en tout cas, ce diplôme d’ingénieur mécanique ?
Alexis : Oui.
En fait, l’idée que j’avais, c’était…
J’étais très ennuyé par les voyages en voiture avec mes deux sœurs, qui, évidemment, je considérais qu’elles prenaient toute la place.
J’avais une plus grande et une plus petite, donc j’étais au milieu.
Fred : Donc, tu étais au milieu en plus, oui.
Alexis : Et les voitures n’étaient pas conçues pour avoir trois enfants, je crois.
Et du coup, je rêvais de construire autre chose.
Et en fait, j’ai fait des tas de dessins de voitures qui permettaient de transporter des familles plus ou moins nombreuses.
Et c’était magique pour moi de faire ça.
C’était super intéressant, c’était super passionnant de faire tous ces dessins, tous ces croquis pour inventer une voiture.
Fred : D’accord.
Et donc, tu es devenu ingénieur mécanique, un diplôme, et tu as travaillé au tout début, si je crois bien, dans l’industrie automobile.
Alexis : Oui.
Fred : Donc, c’était volontaire de vouloir travailler dans l’industrie automobile, justement, par rapport à ce que tu viens de dire ?
Alexis : Oui.
Fred : Oui ?
Alexis : Oui.
Je croyais vraiment que j’allais construire des voitures.
Fred : D’accord.
Et tu as travaillé dans quelle entreprise ?
Qu’est-ce que tu y faisais, en fait ?
Alexis : En fait, je n’ai pas du tout construit de voiture.
Fred : Qu’est-ce que tu as fait ?
Alexis : Et en fait, je me voyais à faire du design et je me voyais à faire des choses comme ça.
Et en fait, pas du tout.
En fait, j’avais fait du développement pendant mes études parce que je trouvais ça marrant.
Mais je ne pense pas que c’était un vrai métier de développer des logiciels.
Je vais me faire plein d’amis.
Et du coup, ces compétences informatiques, c’était il y a très longtemps.
Donc l’informatique, les gens n’avaient pas de mail et n’avaient pas d’ordinateur.
Fred : Alors pour préciser, parce qu’on est à la radio, donc on ne te voit pas.
C’était vers quelle époque ?
Alexis : J’ai été diplômé en 90 ou 91, un truc comme ça.
Donc c’était il y a très longtemps.
Donc ça paraît bizarre aux gens, mais le web a été inventé en 90.
Donc ça leur positionne un petit peu.
Et ça ne s’est pas diffusé rapidement.
Donc ne rêvez pas.
Et en fait, du coup, ces compétences-là m’ont amené à aller dans un domaine où on fabriquait des systèmes de freinage.
C’était le début des freinages ABS, donc anti-blocage.
Donc c’est quand vous appuyez sur la pédale de frein, les roues ne se bloquent pas.
Ça paraît tellement évident pour les gens aujourd’hui, parce que je ne crois pas qu’il reste des voitures qui roulent sur la route sans ABS ou alors vraiment des très anciennes.
Et donc c’était la première fois où on avait ces dispositifs en série sur un modèle de voiture.
On s’en fout du modèle, ce n’est pas très grave.
Et en fait, comme c’est un organe de sécurité, l’idée, c’était de mettre en place une traçabilité sur le produit, les composants, l’ensemble des composants qui étaient assemblés pour fabriquer cet ABS et tous les processus.
Donc le couple de serrage d’une vis, on l’enregistrait.
On enregistrait tout et on gardait toutes les informations là-dessus.
Et du coup, c’était la première fois que sur une chaîne d’assemblage, on avait un système informatique, on avait un VAX dans une belle salle climatisée.
Fred : En fait, c’est un ordinateur, une grosse machine, des grosses armoires à l’époque.
Alexis : On avait une salle pour ça.
Donc, c’était un truc assez magique.
Et du coup, j’étais en charge de mettre en production ce truc-là, pour cette première chaîne d’assemblage à plus grande série.
Donc, c’était très marrant.
Et en fait, moi, mon ambition, ce n’était pas du tout de faire ça, parce que ça, c’était très proche de la fabrication.
Et moi, je me voyais plutôt dans les bureaux d’études.
Et donc, j’ai essayé de me faire recruter partout comme ça.
J’ai fait tous les constructeurs automobiles en leur disant que je voulais être dans un bureau d’études.
Et à chaque fois, ils me disaient, en fait, on pense que ce serait bien que tu sois en fabrication.
Tu es en fabrication, sur les lignes d’assemblage, encadré.
Et moi, je n’avais pas du tout envie de faire ça.
Et donc, je refusais tous les jobs qu’on me donnait.
Au bout d’un moment, quand même, je me suis dit que j’allais arrêter de refuser des jobs.
Et donc, il y a ce mec qui me recrute et qui me dit, oui, je comprends bien que c’est ce que tu veux faire, mais ça m’arrangerait que tu fasses ça pendant quelques mois.
Puis après, dès qu’il y a un poste qui s’ouvre, je te mettrai en bureau d’études.
Donc, le mec était un très, très bon juge de caractère parce que, évidemment, au bout de quelques mois, je me suis rendu compte que la fabrication, c’était génial.
Être vraiment au contact des gens qui font vraiment les choses, c’était passionnant.
J’adorais ça.
Il y avait des tas de problèmes en permanence, des tas de trucs qui tombaient, qu’il fallait résoudre.
Tu étais vraiment dans l’action d’essayer de résoudre des choses.
C’était passionnant.
J’ai adoré ça.
Et puis, tu avais des problèmes technologiques, techniques.
Et puis, tu avais surtout plein de problèmes humains.
Super intéressants, les problèmes humains.
Fred : Et c’est là que tu as découvert, notamment, des méthodes d’organisation ou autres ?
Parce que, de mémoire, tu étais un grand fan, ou en tout cas, tu m’as souvent parlé d’une méthode de Toyota.
Donc, c’est là que tu as découvert ça ?
Alexis : Un petit peu après, mais ça s’est commencé à ce moment-là.
Ce qui était très amusant pour moi, c’est que ce directeur d’usine me dise… En fait, je voyais bien que le moment allait arriver où il allait falloir que je lui dise « je ne veux pas aller dans le bureau avec les autres là, je les ai vus. C’est horrible, le truc qu’ils font »
Je ne vais pas supporter une semaine.
Comment j’allais lui dire ?
Il m’avait promis que j’aurais un job.
Au bout d’un moment, j’ai pris mon courage à deux mains.
Je suis allé le voir pour lui dire que je ne voulais pas faire ça et que je préférerais rester en fabrication si c’était possible.
J’ai commencé à lui parler et il m’a dit « ah, tu as mis du temps à venir me voir.
Je me suis dit « merde, il le sait depuis le début, c’est quand même fort ». Du coup, j’ai pris la responsabilité de l’ensemble de la fabrication des systèmes ABS quand on a mis en place une nouvelle usine à Moulins.
J’étais super jeune, mais j’ai encadré plein de gens et je trouvais ça génial.
Évidemment, la première fois que j’ai parlé devant 150 personnes pour faire ma petite présentation sur les résultats de la semaine et sur quoi on va mettre l’accent, ça faisait un peu peur.
Par contre, j’ai appris à connaître toutes les personnes individuellement et j’ai adoré ça.
Fred : Ce qui t’a le plus intéressé, ce n’est pas tellement la partie ingénierie, c’est la partie humaine, organisationnelle, équipe.
Alexis : Comment on aide les gens à mieux faire leur job.
Un des trucs qu’on a mis en place et qui était vachement intéressant, c’était la maîtrise des procédés.
Tu apprends à tout le monde, quel que soit le rôle dans l’équipe, à comprendre comment ça fonctionne.
C’est vachement marrant parce qu’il y a plein de trucs qui sont contre-intuitifs.
Pour toi, pour n’importe qui, s’il y a une tolérance pour fabriquer une pièce, admettons qu’on perce un trou, tu te doutes que si on perce un trou, le forêt, par exemple, va s’user au bout d’un moment et donc le trou ne va plus faire la même taille.
Mais tu as une tolérance.
Si tant que ça marche dans la tolérance, tu pourrais considérer que c’est bon.
Avec notre approche de maîtrise des procédés, en fait non.
Tout le monde le savait, c’est-à-dire qu’un ouvrier sur la chaîne, il prenait les cotes, il regardait le graphique et il voyait un certain nombre au-dessus de la moyenne.
Ce n’est pas normal.
Donc on a un problème de maîtrise, on s’arrête et on réfléchit.
Et on agit.
En fait, qui prend la décision ?
Le mec qui est sur la chaîne.
Ce n’est pas un grand patron.
On a de l’information, on a de la transparence, on a une bonne compréhension de cette information, on sait ce que ça veut dire et du coup on agit.
Et ça, j’ai trouvé ça génial.
J’ai adoré tout ça.
Fred : C’est-à-dire aussi qu’en amont, il y a des gens qui élaborent ces procès, ces procédures, des gens qui les vérifient et après effectivement des gens qui les appliquent en autonomie.
Parce que comme tu le dis, c’est basé sur la transparence, sur tout est accessible et surtout, je suppose en tout cas, qu’on leur explique l’intérêt aussi de ça.
Ce n’est pas juste bêtement d’appliquer une procédure, c’est qu’on explique l’intérêt.
Alexis : Du coup, c’est là où j’ai compris que si tu crées les conditions pour que les gens puissent faire le mieux possible leur job, ils le font en fait.
Et ils ont plein d’idées.
Après, tu ne peux pas nécessairement tout mettre en œuvre parce qu’on a des capacités nécessairement limitées.
On ne peut pas faire beaucoup de changements en même temps mais tu peux faire plein de trucs.
Et du coup, c’est pour ça que je partageais avec eux l’ensemble de nos objectifs global pour l’ensemble de la cabine et où est-ce qu’on avait vu qu’on avait le plus de problèmes, pour que les gens puissent se focaliser sur les points où il y avait des points d’attention.
Et du coup, c’était super intéressant, c’était super riche.
Et j’ai appris énormément de choses.
Fred : Alors, tu es resté combien de temps là-dedans, dans cette activité ?
Alexis : Je suis resté quelques années, pas très très longtemps.
Deux, trois ans peut-être.
En fait, le truc qui était rigolo, c’est que le gars qui m’a remplacé, je m’en souviens toujours, c’était marrant parce que tu parlais de l’attachement humain et ça m’y fait penser.
On avait trois équipes.
On avait une équipe du matin, une équipe d’après-midi et une équipe de nuit.
Et en fait, moi, quand j’arrivais le matin, je disais bonjour à toutes les personnes de l’équipe.
Donc, je faisais tout le tour et je disais bonjour à tout le monde.
Et puis, quand l’équipe d’après-midi arrivait, je disais bonjour à toute l’équipe d’après-midi.
Et une ou deux fois dans la semaine, je venais à 23 heures pour aller voir l’équipe de nuit, pour dire bonjour à toute l’équipe de nuit, mais je ne venais pas tous les jours pour ça.
Et il me disait, mais c’est fou parce qu’en fait, je crois que j’ai mesuré.
Je pense que tu perds entre une heure et demie à deux heures par jour à dire bonjour.
Fred : Quand il y a une grande entreprise, effectivement.
Alexis : Oui, oui, oui.
Et en fait, je n’avais pas l’impression de perdre mon temps.
Je n’apprenais pas forcément quelque chose à chaque fois, mais j’apprenais plein de petites choses que je n’aurais jamais appris si je n’avais pas fait le tour.
Puis ça disait aussi un truc aux gens, c’est qu’ils savaient que j’allais passer.
Ils savaient que s’ils avaient quelque chose à me dire, ils pouvaient me le dire.
Fred : Ils pouvaient te le dire.
En fait, ça permettait une remontée d’informations, même de façon finalement informelle et pas forcément tout le temps.
Alexis : Oui.
Fred : C’est-à-dire qu’il peut y avoir un simple bonjour ou tiens, bonjour, mais Alexis, j’ai un truc à te dire, c’est ça ?
Alexis : Oui, tout à fait.
Et du coup, des petits trucs comme, tiens, il faut faire attention parce que j’ai vu que sur le tableau des formations, parce qu’on faisait tout de manière transparente, donc on avait des habilitations pour les postes et on avait un grand tableau qu’on avait mis en place où tout le monde voyait toutes les habilitations à tous les postes.
Quelqu’un m’avait dit, j’ai vu que telle personne a été formée sur ce poste et puis il y avait beaucoup de postes qui étaient en binôme.
Donc, il y avait deux personnes qui travaillaient côte à côte toute la journée.
Pas forcément toute la journée, parce qu’il y avait des changements dans la journée, mais très proches.
Il me dit, tiens, j’ai vu que cette personne avait été formée sur ce poste, c’est vachement bien, mais tu connais son histoire avec cette autre personne qui est formée sur ce poste et qui est généralement toujours à ce poste ?
J’ai dit, non.
Il me dit, ben, si tu veux, son mari, c’est l’ex-mari de l’autre.
Elle lui a piqué.
Je pense qu’il ne faudrait pas les mettre ensemble.
Donc, évidemment, moi, je ne savais pas ça.
Mais personne ne m’en avait parlé et tout le monde n’était pas nécessairement au courant.
Mais il y a quelqu’un qui m’en a gentiment parlé avant qu’il y ait un problème.
Je lui ai dit, ce serait une bonne idée de vous mettre ensemble.
Fred : Donc, ça favorisait qu’une certaine fluidité de l’information est utile pour le travail, en fait.
Alexis : Oui, et du coup, il me faisait probablement aussi plus confiance quand je leur parlais des résultats, quand je leur parlais des points d’attention.
Et puis, moi, je ne parlais pas à des étrangers quand j’avais 150 personnes devant moi avec mon petit papier.
C’était quand même aussi pas mal, ça.
Fred : D’accord.
Alors, ça, c’est dans l’industrie automobile.
Après, si j’en crois mes notes, tu as créé une start-up Internet.
Alors, pourquoi ce changement et c’est quoi cette start-up Internet ?
Est-ce que c’était la mode ?
Est-ce que c’était à l’époque de la bulle Internet ?
Alexis : Alors, c’était avant.
En fait, c’était avant qu’il y ait une bulle.
Bon, on y a bien contribué, je vous rassure.
Donc, le web a été inventé en 90.
On est en 94, 95.
Et en fait, je retrouve des anciens copains avec qui je faisais du développement sur Mac, déjà, tu vois, pendant mes études.
Et on parle du web.
Et en fait, il y a une espèce d’enthousiasme pour faire quelque chose.
Et je vais les rejoindre pour créer une start-up web.
On est trois en 95, c’était marrant.
Et en fait, j’ai relu le business plan il n’y a pas si longtemps.
Et le business plan, c’est un espèce de mélange d’Amazon, d’Ebay, de Netflix.
Fred : Avant l’heure, quoi.
Alexis : Je ne sais pas comment les gens nous ont donné de l’argent, mais ils nous ont donné de l’argent.
Fred : À l’époque, les investisseurs donnaient beaucoup d’argent à plein de gens.
Alexis : Non, non, non.
En 95, c’était vraiment le tout début.
Donc, il n’y avait pas encore cet engouement.
Et en fait, nous, on se dit, qu’est-ce qu’on va faire ?
On va fabriquer des sites web pour les grandes boîtes.
Et après ces sites web, on va les rendre plus complexes parce que nous, on veut avoir une plateforme qui va permettre de faire soit du commerce, soit de l’information.
On imaginait radio, télé, tout ça, aller fusionner dans un grand ensemble.
Ça allait être merveilleux.
Et nous, on va fabriquer tout ça.
Et en fait, au moment où on relève la tête avec nos sous qu’on vient de lever, là, on se rend compte qu’il y a 1500 boîtes qui sont créées pour créer des sites web à tout le monde.
Fred : C’est-à-dire pour faire la même chose.
Alexis : Exactement.
Et on se dit, en fait, ça ne va pas le faire, ça.
Fred : Donc, on va faire autre chose.
Alexis : Et vous avez donc fait quoi, alors ?
Du coup, on s’est dit, qu’est-ce qui marchait à l’époque ?
Alors là, ça date vraiment.
Qu’est-ce qui marche à l’époque ?
C’est le Minitel.
Le Minitel, c’est vachement bien.
Et on se dit, le Minitel, c’est bien.
Les catalogues papiers, c’est bien.
Les gens…
Fred : Genre l’annuaire, par exemple ?
Alexis : Même les catalogues de vente papiers, ça existait.
Donc, il fallait éditer un catalogue papier.
Et après, il fallait que les gens, ils aient un petit bond de commande qu’ils découperaient, ils remplissaient leurs trucs, et ils le renvoyaient par la poste, il fallait traiter tout ça.
Et donc, on se dit, en fait, on va fabriquer un système qui va permettre d’éditer ton catalogue papier, de créer ton site Minitel, et de créer ton site web.
Et après, on va devenir une plateforme de commerce électronique, on va te permettre de faire du commerce en ligne.
Donc, il a fallu qu’on crée des systèmes de paiement, faire un partenariat avec tout ça.
On a fait des tas de trucs.
Donc, on a inventé plein de techno qui n’existaient pas, c’est très, très drôle.
Et du coup, on est devenu fournisseur de toutes ces petites boîtes qui s’étaient créées pour créer des sites web.
Parce que nous, on avait la techno, et on fabriquait des data centers.
Donc, c’était vachement marrant.
Fred : Les data centers, c’est les centres de données, là où il y a toutes les données informatiques.
Et l’entreprise, vous étiez combien ?
Vous étiez 10, 100, 1000 ?
Pour faire tout ça ?
Alexis : En fait, au début, on n’était vraiment pas beaucoup.
Donc, on travaillait beaucoup.
Je pense que j’ai battu mes records de nuits blanches.
Et quand je suis parti en 2000, on était 850 dans 10 pays.
Fred : Ah ouais, gros succès, quoi.
Alexis : Et on était coté sur deux marchés.
À l’époque, les marchés n’étaient pas intégrés en Europe.
Donc, on était coté au Nouveau Marché en France et au Neuer Markt en Allemagne.
Fred : D’accord.
Alexis : C’était marrant, ouais, c’était très marrant.
Donc, quand tu parlais de la bulle, bah oui, évidemment, on a bien vu la bulle après.
Fred : Et dans cette activité-là, est-ce que t’as retrouvé des…
Est-ce que t’as pu mettre en application ce que t’avais appris précédemment dans l’industrie automobile, sur ce que tu disais ?
Alexis : Ouais, en fait, ce qui était marrant, c’est que là, je me suis vraiment rendu compte que la façon dont on faisait de l’informatique, c’était soit beaucoup trop structuré pour ce que l’on faisait nous, soit complètement l’anarchie.
Et donc, en fait, on essayait de faire pas trop l’anarchie.
Et ce qui était vraiment amusant, et c’est pour ça que c’est une aventure humaine intéressante et que je suis toujours des contacts avec les gens de cette époque-là, c’est qu’en même temps, t’avais le passage à l’euro en 99 et le bug de l’an 2000, qui a occupé plein d’informaticiens.
Donc, normalement, les informaticiens, ils allaient faire ça.
Ils allaient pas faire du web avec des guignols comme nous.
Fred : C’était un jouet, le web, pour eux, en fait.
Alexis : Voilà.
Et donc, nous, on avait beaucoup de mal à recruter, forcément.
Et donc, on a recruté plein de gens qui étaient…
Fred : Qui n’étaient pas informaticiens ou informaticiennes de formation.
Alexis : C’est ça.
Voilà.
Et qu’on a formé.
Fred : Que vous avez formé.
Alexis : Voilà.
Et donc, on en avait quand même des vrais informaticiens, mais on a recruté plein d’autres gens qui faisaient d’autres choses.
Et puis, il y avait ce côté…
T’as une interface graphique et t’as un vrai challenge de bande passante.
Alors, évidemment, les gens, aujourd’hui, ils se plaignent de la bande passante parce qu’ils arrivent pas à regarder un film en 8K en streaming, tu vois.
Mais à l’époque, avec un modem 9600 bauds, là, où tu te connectes…
Tu faisais gaffe
Fred : Et puis, tu faisais gaffe aussi à ta facture téléphonique.
Parce qu’à l’époque, c’était la facturation à la minute.
Alexis : C’est ça.
C’était pas illimité.
Enfin, il y avait plein de choses qui étaient différentes.
Donc, il y avait plein de challenges techniques assez amusants et qui étaient au carrefour de plein de métiers.
Donc, c’était passionnant.
C’était marrant.
C’était génial comme aventure.
Fred : D’accord.
T’as enchaîné avec autre chose avant l’administration électronique ou pas ?
Alexis : Ouais.
Fred : Alors quoi, alors ?
Je me suis dit que comme j’étais super fort à monter des startups et que j’avais de l’argent, j’allais quand même continuer à faire ça.
Donc, j’allais remonter une autre.
Et comme le B2B, c’est-à-dire faire de la vente aux entreprises. Alors, B2B, c’était vachement bien.
Mais en fait, le plus impactant, le plus grandiose qu’on pouvait faire, c’était de faire une startup qui allait s’adresser aux vrais consommateurs.
Faire un truc vraiment grandiose.
Et donc, on a eu plein d’idées.
Et on s’est dit qu’on allait monter ça.
On avait énormément d’argent pour commencer, parce qu’on n’était pas très malins.
Et que c’était au moment où la bulle Internet a éclaté.
Donc, il n’y avait plus personne pour nous donner de l’argent.
Donc, on a gentiment arrêté cette idée.
Et là, je me suis dit, je vais faire du conseil à d’autres startups pour les aider à monter.
Le gars qui n’avait toujours pas compris que la bulle a éclaté, tu vois.
Et donc, évidemment, ces startups n’ont pas pu lever leur deuxième tour d’argent.
Fred : Donc, ils ne pourraient plus te payer.
Alexis : Elles sont toutes mortes.
Jusqu’à ce qu’un gars me contacte pour me dire qu’il avait un super job pour moi, mais qu’il ne voulait pas me dire quoi.
Il fallait que je vienne en rendez-vous pour qu’ils me le disent.
Fred : Ah ouais ?
C’était quoi comme job ?
Alexis : C’est aller travailler pour l’administration électronique.
Fred : Alors, on va préciser, on dit tout à nos auditeurs.
C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés.
C’est dans ce cadre-là, en fait.
Donc, il y a quelques années maintenant.
Je ne sais pas comment s’appelait à l’époque la structure.
C’était la Direction générale de modernisation de l’État ou ça avait un autre nom à l’époque ?
Alexis : La toute première instance de ça, c’était l’ADAE.
Fred : L’Agence pour le Développement de l’Administration Électronique.
Alexis : C’était une agence qui était dans les services du Premier ministre.
Fred : D’accord.
Alors, qu’est-ce qui t’intéressait là-dedans ?
Parce que c’était une des premières agences qui existaient dans l’administration électronique, donc au niveau étatique.
C’était ça qui t’intéressait ?
C’était la nouveauté ?
Travailler dans le secteur public, qu’est-ce qui t’intéressait ?
Alexis : En fait, les gars que j’ai vus en rendez-vous étaient passionnants parce que c’était des fonctionnaires.
Alors, vous allez avoir tous les clichés que vous pouvez avoir en tête.
Fred : Alors, juste une petite précision.
Julie nous demande, c’est quoi l’administration électronique ?
Alexis : Alors, l’idée, c’était d’utiliser les technologies du web, qui à l’époque n’étaient pas très diffusées, pour moderniser l’administration.
C’est-à-dire, peut-être que certains payent des impôts ou pas, mais vous faites probablement une déclaration d’impôt en ligne, par internet, à l’époque ça n’existait pas.
Donc, il a fallu faire ça.
Vous allez chercher des informations sur servicepublic.fr, à l’époque ça n’existait pas.
Et donc, savoir comment fonctionnait un service public, c’était un mystère.
Même pour certains agents publics d’ailleurs, ça pouvait être un mystère.
Fred : Donc, c’était au tout début de cette numérisation des services de l’État, pour le meilleur et pour le pire sans doute peut-être, mais bon, peu importe, c’est un autre sujet.
Mais donc, tu rencontres des gens formidables, c’est ça ?
Alexis : Oui.
En fait, les gens que je rencontre, ils sont incroyables.
Tous mes préjugés sur être un fonctionnaire, pourquoi ils font ça, etc. volent en éclats, parce que j’ai des gens passionnés qui ont vraiment envie d’être au service des citoyens et de faire les choses mieux.
Et c’est à la fois au service des citoyens et au service des agents publics, parce qu’ils se disent, les agents publics sont au service des citoyens, il faut leur donner les outils pour qu’ils puissent faire leur job dans des meilleures conditions.
Donc en fait, je faisais des gens absolument passionnants et super intéressants.
Et je me dis, bah ouais, moi je veux contribuer à ça aussi.
Et c’est bizarre, je ne m’attendais pas à ça, je n’avais pas ça dans mon plan.
Fred : Et c’était quoi ton rôle, ton poste ?
Alexis : Ah la vache, là il faut reconnaître qu’on est quand même vraiment dans l’administration.
J’étais responsable du plan stratégique de l’administration électronique.
Et à un moment donné, je me suis occupé d’un autre truc qui était très amusant, c’était la diffusion et l’utilisation de standards ouverts et de logiciels libres.
Fred : D’où notre rencontre, vu qu’à titre professionnel, je suis également dans le logiciel libre.
Donc les standards ouverts, c’est des standards qui sont documentés, accessibles à tout le monde, que tout le monde peut mettre en œuvre.
Et en fait, Internet est basé sur des standards ouverts.
Le web, HTTP, donc le protocole d’Internet, c’est un standard ouvert.
Le protocole du mail, c’est un standard ouvert.
Même si aujourd’hui, ça a de plus en plus de tendance à se refermer avec les Google, Amazon et compagnie.
Mais toi, tu étais en charge de cet aspect-là, la promotion et le développement des standards ouverts et des logiciels libres dans l’administration.
Et c’était vraiment au tout début.
C’était vraiment au tout début.
Alexis : C’était balbutiant.
Fred : Et en tout cas, c’est vrai que les équipes que j’ai pu rencontrer à l’époque dans le cadre de mon travail, j’étais un peu de l’autre côté.
Moi, j’étais promoteur de logiciel libre et je rencontrais des gens de l’administration.
C’est vrai qu’il y a vraiment des gens formidables et qui essayaient de travailler avec pas forcément beaucoup de moyens, en fait.
Alexis : Non, ils n’avaient pas nécessairement beaucoup de moyens et ils avaient beaucoup moins d’influence que certains éditeurs de logiciels, par exemple.
Fred : Comme Microsoft à l’époque.
Et maintenant, c’est Google.
Alexis : J’essayais de ne pas me faire d’ennemi.
Fred : Non, mais ne t’inquiète pas.
Donc, tu restes combien de temps, à peu près ?
Alexis : Je pense que je reste six ans.
Ça fait partie de ce genre d’expérience où j’imagine que je vais faire ça quelques temps.
Et puis, à un moment donné, il s’est passé plein de temps.
Fred : Six ans, ce n’est pas forcément très long non plus dans certaines carrières.
Alexis : Oui, c’est vrai.
Mais à un moment donné, je pense qu’il était temps.
Je pense que le rythme de changement du politique me fatiguait un peu quand même.
Fred : Je ne vais pas te poser la question de savoir si les changements politiques de majorité ont eu un impact là-dessus.
Alexis : Ce n’est même pas une question de côté politique en fait.
Alexis : Non, mais pas de côté.
Mais par rapport au logiciel libre, on sait très bien qu’avec l’élection, par exemple, de Nicolas Sarkozy en 2007, la partie logiciel libre a un peu souffert, on va dire.
Je ne sais pas si tu étais encore là-bas.
Alexis : C’est sûr que oui.
Ça va être la fin, oui.
Fred : On ne va pas rentrer dans ce détail-là.
Ça serait trop long.
En tout cas, il y a eu des…
Sous certains gouvernements, c’était plus facile que sous d’autres.
Par exemple, sous le gouvernement Ayrault, il y a eu une circulaire logiciel libre en faveur du logiciel libre.
Ceux qui s’intéressent au sujet du logiciel libre, je les renvoie sur Libre à vous ! chaque mardi à 15h30 sur Cause Commune.
Donc, tu quittes le secteur public et tu reviens dans le conseil en organisation.
C’est ce que tu faisais un petit peu avant, mais là, c’est après la bulle Internet, c’est après le secteur public.
C’est toujours le même.
Tu conseilles qui ce coup-ci en fait ?
Quel type de structure ?
Alexis : Alors là, j’ai énormément d’ambition.
Je me dis que je vais conseiller à la fois des grandes entreprises, parce que j’ai quand même une bonne expérience de grandes organisations.
Après tout, la boîte dans l’automobile dans laquelle j’étais, il y avait 400 000 employés à l’époque.
C’était quand même une énorme boîte.
Fred : Tu ne veux pas dire le nom de la boîte ?
Alexis : Ça s’appelait AlliedSignal.
Et en fait, la marque pour laquelle je travaillais, c’était Bendix.
Bendix, peut-être ça parle à certains dans l’automobile, mais c’est des équipementiers, donc généralement les gens ne les connaissent pas.
Et le secteur public dans son ensemble, c’est évidemment énormément de monde, avec des tas de différentes structures qui sont interconnectées plus ou moins.
Et puis, j’ai travaillé dans des petites structures qui grandissent beaucoup, donc des start-up.
Fred : Des start-up, dont on parlait tout à l’heure.
Alexis : Et du coup, je me dis, je vais faire du conseil pour les deux.
Et c’est ce que je vais faire, ce qui va être très amusant.
Et du coup, je vais essayer de mettre en œuvre ce que j’ai appris sur comment fonctionne, comment ça fonctionne dans l’automobile.
Tu évoquais le système de Toyota, de production de Toyota qui est passionnant.
Fred : Rappelle-moi le nom, parce que je ne me souviens plus comment il s’appelait ce système.
Alexis : C’est Toyota Production System, donc TPS.
Et ça va être étudié par le MIT et ça va donner un bouquin fondateur qui est « La machine qui a changé le monde ».
Et c’est l’idée du Lean Management.
Ça vient de l’étude des pratiques de Toyota.
Alors attention, ils ont étudié les pratiques et les outils qu’ils ont codés dans l’idée du Lean.
Fred : C’est quoi l’idée du Lean ?
Parce que là, tu as proposé un nom que je ne peux pas expliquer.
Alexis : Pour simplifier, c’est de réduire les gaspillages, c’est-à-dire de ne faire que ce qui est nécessaire.
C’est d’aller au plus simple de ce qu’il faut faire pour obtenir le résultat voulu.
Ce qui est passionnant comme idée.
Tu as des citations de De Vinci qui parle de simplicité, de Saint-Exupéry.
Tu vois que cette idée de simplicité, c’est quelque chose qui est difficile à accomplir.
Donc il y a plein de choses qui sont très intéressantes.
Ce qui est raté dans pas mal d’implémentations Lean, c’est le fait, ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est les personnes qui sont en train de faire le job, c’est elles qui contribuent.
C’est elles qui ont une influence.
C’est elles qui prennent des décisions.
C’est elles à qui on donne les informations et l’information nécessaire pour qu’elles puissent prendre des décisions et faire évoluer le système.
C’est peut-être cette partie-là qui est ratée dans pas mal d’implémentations qui deviennent plus dirigiste.
Fred : Du haut en bas.
Tu te lances dans ce conseil pour petites entreprises, grandes entreprises.
Alexis : Oui.
Fred : Ça dure combien de temps en fait ?
Alexis : Ça dure quelques années.
Fred : T’es en indépendant ou t’as créé une structure ?
Alexis : On a créé une société.
Un de mes associés, c’est mon épouse.
Isabel
Hello Isabel
Fred : Elle nous écoute ?
Alexis : J’espère.
Je lui ai dit que l’émission commençait à 22h.
J’espère qu’elle nous écoute.
Fred : Si elle veut nous appeler, elle peut d’ailleurs.
Alexis : Ça serait marrant.
Et donc on monte une petite structure avec l’idée que, toujours mon idée, c’est qu’on va faire plutôt des réseaux de petites équipes plutôt qu’une grande organisation.
J’ai toujours cette idée de petites équipes.
Et ça dure quelques années. 2009, je pense que la boîte dure jusqu’à ce qu’on parte aux US.
Ça doit être 2016.
Mais moi je vais arrêter de travailler dans cette boîte en 2013.
En fait, une des startups pour lesquelles je travaillais, dans laquelle je vais finir par travailler de plus en plus, va m’embaucher
Fred : Une startup dont le logiciel libre de mémoire ?
Alexis : Oui, absolument.
Fred : Qui s’appelle Enovance, c’est ça ?
Alexis : Oui, exactement.
Donc là, tu reviens côté logiciel libre, mais pas côté administration, mais côté entreprise.
Et là, ça va être le début d’un gros changement quand même.
Parce que quand tu parles des Etats-Unis, Enovance va être rachetée par une grosse entreprise de logiciel libre qui s’appelle Red Hat.
Et toi, tu vas filer aux Etats-Unis.
Mais tu vas faire quoi chez Red Hat ?
C’est combien d’employés Red Hat à peu près ?
Alexis : À l’époque, quand ils rachètent Inovance, il y a un peu plus de 5 000 employés.
Et donc, par rapport à Inovance, c’est évidemment énorme.
Et en fait, moi, je me dis que mon job, c’est d’aider à trouver une place à toutes les personnes qui sont là, et peut-être de transmettre l’approche que l’on avait, à la fois notre approche d’organisation, qui était basée sur des petites équipes pluridisciplinaires, avec pas de niveau hiérarchique.
Une équipe de leadership et des petites équipes pluridisciplinaires.
Donc ça, c’était l’approche d’organisation.
Et notre approche pour engager avec les clients, où on avait une idée de vraiment, en un workshop, leur permettre d’avoir une bonne compréhension de leur stratégie cloud.
A l’époque, on parle de cloud, alors évidemment, il y a le cloud public qui vient d’émerger.
Et l’idée, c’est de construire des clouds privés.
Fred : Donc l’informatique en nuage.
Alexis : Oui, c’est ça.
Fred : Donc on ne sait pas trop où sont les données, elles sont quelque part.
Alexis : Tu évoquais les centres de données, ben voilà, elles sont dans des centres de données qui appartiennent à quelqu’un d’autre.
Et en fait, ce qui est intéressant, c’est que le directeur technique d’Enovance est vraiment visionnaire dans ce sens-là.
C’est-à-dire, quand eux, ils créent Enovance, ils le créent juste en 2009, Enovance.
AWS, Amazon Web Services, ça a été créé en 2006.
Donc AWS vient d’arriver, et eux, ils disent, lui dit, en fait, ça va poser un problème pour le logiciel libre.
Nous, on fait de l’hébergement de logiciels libres, c’est le métier d’Enovance.
Mais en fait, l’émergence de ce genre de services va poser un problème pour les logiciels libres parce qu’en fait, ils vont utiliser les choses, mais ils ne vont jamais recontribuer.
Alors que nous, quand on rencontre des problèmes, on contribue pour fixer les problèmes.
Et eux, ils ne font pas ça.
Donc ils disent ça déjà, en 2009.
Donc il est vachement intéressant.
Et en fait, quand ils découvrent l’idée de dire, en fait, on commence à avoir vraiment beaucoup de clients, il nous faut un outil pour gérer toute notre infrastructure qu’on déploie pour des clients, dans notre centre de données, enfin, dans nos centres de données, puisqu’on en avait aussi à Montréal, il nous faut un truc pour gérer ça.
Et donc, on va créer un logiciel libre qui va gérer de l’infrastructure et qui va permettre de provisionner rapidement.
Donc en fait, on va créer un logiciel pour fabriquer un cloud.
Donc pas du tout ambitieux.
Il ne manquait pas de niveau d’ambition.
Et en fait, coup de chance, ils ne vont pas le créer.
Ils vont rencontrer un logiciel libre qui se crée à ce moment-là, qui s’appelle OpenStack.
Et du coup, ils vont contribuer à OpenStack.
Ils vont être dans les premiers contributeurs à OpenStack.
OpenStack, c’est un logiciel libre qui a été créé par la NASA et Rackspace, qui était une boîte qui faisait un peu le même job qu’Enovance, donc ça tombait plutôt bien.
Et le truc va avoir une traction assez phénoménale.
Et surtout, notre approche pour développer va faire qu’on devienne des contributeurs en vue.
Et notre approche pour engager avec les clients fait qu’on gagne systématiquement quand on est face à Red Hat, par exemple.
Donc ça va finir par attirer et on va rejoindre Red Hat.
Alors qu’est-ce que je vais faire chez Red Hat ?
Fred : Qu’est-ce que tu vas faire chez Red Hat ?
Alexis : C’est ça.
Au début, je me dis, je vais juste trouver une place pour les gens et après, je vais me remettre, parce que je ne vois pas ce que je vais faire dans une si grande boîte.
Et en fait, je fais un peu de transmission de notre approche d’engagement avec les clients, qui marche bien pour une petite startup, mais moins bien pour une grande boîte où les clients s’attendent à ce qu’il y ait beaucoup d’efforts d’avant-vente qui soient faits.
Alors pour une startup, on pouvait leur dire, écoutez, on n’a pas que ça à faire.
Donc on pouvait avoir une approche un peu différente.
Et le truc que je vais faire, c’est travailler avec l’équipe OpenStack qui existe chez Red Hat, l’équipe produit.
Et on va changer l’organisation en allant vers une organisation à petites équipes pluridisciplinaires, très similaire à ce qu’on avait fait chez Enovance, mais du coup à une échelle un peu plus grande, parce qu’il y a 300 personnes qui sont impliquées là-dedans.
Et du coup, ça marche plutôt bien.
Évidemment, il y a une collection de gens qui sont fascinants et qui sont extrêmement bons, donc ça marche bien aussi grâce à toutes ces personnes.
Ce n’est pas juste parce que je suis venu.
Il faut bien remettre les choses à leur place.
Mais c’est fascinant, c’est super excitant, et du coup, je me vois bien faire ça avec plein d’autres équipes.
Et en fait, un gars qui va s’occuper de recentraliser l’engineering, parce que l’engineering n’est pas reproduit et est très divisé chez Red Hat à ce moment-là, va nous demander de venir avec lui pour créer une équipe de leadership qui est un peu ma marque de fabrique.
C’est créer des équipes de leadership qui se comportent comme des vraies équipes et qui vont diffuser finalement ces principes et ces valeurs dans l’ensemble de l’organisation.
Fred : Alors, le terme leadership que tu viens d’employer pour la première fois, tu l’as entre guillemets formalisé ou utilisé pour la première fois chez Red Hat ou déjà avant, pour toi, il y avait cette notion de leadership qu’on va définir après, ne vous inquiétez pas.
Alexis : En fait, je l’utilise à ce moment-là parce que quand j’arrive dans l’équipe OpenStack, j’ai plein de fonctions qui ont des objectifs différents.
Pour fabriquer un produit, quel qu’il soit, il y a différentes fonctions.
Ça, c’est assez facile à comprendre, même si vous n’êtes pas dans le logiciel, ça vous paraît évident.
Si je vous dis qu’il y a des gens qui définissent un peu le produit, des gens qui le conçoivent, donc ils vont écrire des lignes de code, et puis des gens qui vont contrôler la qualité, ça va vous dire qu’il y a différentes fonctions.
Ça pourrait marcher dans plein de métiers différents.
C’est pas exactement comme ça, mais c’est pas très grave.
Donc, plein de fonctions avec des objectifs différents et qui ont tendance à pas vraiment bien se parler, pas vraiment bien communiquer, à peut-être une tendance à se blâmer les uns les autres pour leur manque de succès.
Et du coup, ça marche pas du tout.
Et en fait, je me dis qu’en fait, il faut changer cette approche.
Il faut mettre ces leaders de ces différentes fonctions, ces managers des différentes fonctions, il faut les mettre ensemble et leur dire en fait, votre responsabilité maintenant ensemble, c’est une responsabilité commune, et vous êtes maintenant l’équipe de leadership de ce produit.
Et donc, j’emploie pour la première fois cette façon d’aborder ça.
Mais pour moi, c’est pas un rôle ou une position.
C’est pas une qualité.
C’est le fait qu’on va travailler ensemble vers un objectif commun.
Et je leur dis, votre responsabilité, c’est de créer les conditions pour que tous les autres, dans toutes vos fonctions, puissent collaborer ensemble sur les différentes parties du produit.
Et donc, l’idée, c’est vraiment de créer des équipes pluridisciplinaires qui vont travailler ensemble.
Donc, on n’est plus avec une fonction qui travaille dans son coin, une fonction qui travaille dans son coin, on est avec des petites équipes pluridisciplinaires qui travaillent ensemble.
Et du coup, qui peuvent travailler ensemble, qui se sentent libres de travailler ensemble et incités à travailler ensemble, parce que quand ils regardent leur patron, ils voient que leur patron travaille aussi avec les autres fonctions, mais juste à un autre niveau de l’organisation.
Fred : D’accord, mais dans ces petits groupes, à chaque fois, il y a un ou une leader ?
Alexis : Non.
Fred : Non ?
Alexis : Non.
On essaye de faire en sorte que finalement, le leadership émerge et que cette possibilité d’exprimer du leadership, donc finalement, de prendre le lead, donc de guider, d’influencer les autres, ça puisse émerger dans l’équipe.
Parce qu’en fonction de tes connaissances, en fonction de ton intérêt, tu peux avoir envie d’impulser, d’influencer à un certain moment.
Et puis, un leader, il va du coup reconnaître que le leadership émerge et se dire « En fait, moi, là, c’est un bon moment pour suivre et pour renforcer cette impulsion qui vient de démarrer » Et sur un autre sujet, c’est peut-être lui qui prendra le sujet.
Et on essaye d’avoir une idée avec des rôles un peu plus fluides.
Donc, on essaye de faire émerger des rôles.
Alors, ceux qui ont entendu parler d’Agile vont reconnaître un peu le sens de ces rôles-là.
On a besoin d’un rôle pour comprendre ce qu’est le produit et ce qu’on doit fabriquer dans une équipe de développement.
Et on se dit « En fait, il nous faut cette connexion-là » Il faudrait que quelqu’un prenne ce rôle de cette connexion.
Et donc, les gens dans les équipes vont définir le terme, ils vont l’appeler le « user advocate », donc l’avocat des utilisateurs, si on veut.
Et c’est super intéressant, parce que quelqu’un va prendre ce rôle-là pour une période donnée.
Il y a des équipes où quelqu’un le prenait pour six mois.
Et puis, il y a des équipes où les gens, ils disaient « Non, moi, je l’ai fait trois mois. C’est crevant. Et en plus, je ne peux pas faire tous les autres trucs que je faisais avant. »
Et donc, ça devient des rôles tournants.
Donc, on essaye de faire émerger des rôles où les gens vont prendre une responsabilité pour l’équipe qui peut être différente.
D’accord.
Je pense que c’est le temps de faire une petite pause musicale pour continuer à parler du sujet du leadership.
Alors, on va écouter « What a Wonderful World » par The Ramones.
On se retrouve dans 2 minutes 20.
Belle soirée d’écoute de Cause commune, la voix des possibles.
[ Diffusion de la pause musicale ]
Voix du jingle (Laure-Élise Déniel) : Cause Commune, 93.1.
Nous venons d’écouter What a wonderful world par The Ramones Bien sûr c’est une reprise de…
Merde, aidez moi.
Alexis : Louis Armstrong.
Fred : Louis Armstrong, grave, excusez-moi.
Vous écoutez toujours l’émission Chemins de Traverse.
Je suis toujours donc avec Alexis Monville.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09.72.51.55.46.
Je vous répète, 09.72.51.55.46.
Ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm.
Bouton chat.
Salon Chemins de Traverse.
Alors juste avant la pause musicale dans la première partie de l’émission, on a vu un petit peu le parcours riche et varié d’Alexis.
On en est arrivé donc à la partie où il a rejoint Red Hat.
Où il a commencé à enfin employer le mot de leadership et même de leadership émergeant.
Donc j’ai envie en fait, pour cette deuxième partie, on va être un peu plus exploré justement ces notions-là.
Je vais te demander tout simplement déjà, comment toi tu définis le leadership ?
Alexis : Alors le truc, c’est que j’ai tendance à regarder le dictionnaire pour savoir comment on définit les mots.
Et ce qui m’a amusé dans le dictionnaire, c’est que tu vois bien que ça commence à être un sujet compliqué. Quand on trouve plusieurs dictionnaires, d’ailleurs, ils ne sont pas complètement tous d’accord.
Donc c’est marrant.
Mais le sens premier du mot, c’est cette idée de guider, d’influencer une personne ou un groupe de personnes vers un objectif commun.
Donc on a cette idée d’objectif commun.
On a cette idée aussi de transformation.
C’est-à-dire qu’on n’est pas dans le statu quo.
Fred : On passe d’un point A à un point B.
Alexis : On a une idée vraiment de changement important qui va se passer.
Et donc on voit que ce n’est pas un rôle.
Ce n’est pas une fonction.
Ce n’est pas quelque chose pour lequel on est nommé.
Mais par contre, dans l’évolution du rôle, on voit que ça peut être la qualité de ceux qui sont leaders.
Ils ont du leadership.
Ou ça peut carrément être le rôle de certaines personnes.
Et du coup, ça devient l’équivalent après dans l’usage commun des gens qui sont tout en haut dans une organisation.
Ils sont tout d’un coup les leaders ou le leadership.
Et puis on se met à nommer des gens leaders de quelque chose.
Et donc on retrouve des gens qui sont tech leads ou leads de je ne sais pas quoi.
Fred : Excusez-moi, mais ça, c’est beaucoup dans l’informatique et dans l’industrie, le terme de lead.
Alexis : Ouais.
Fred : Mais est-ce que ce sont vraiment des personnes qui sont leaders ?
Dans le sens où on l’entend, toi.
Alexis : C’est là où, du coup, on se retrouve avec un vrai problème.
Fred : Est-ce que ce ne sont pas plutôt des chefs, des fois, ou des responsables ?
Alexis : Eh bien voilà, c’est ça le problème, en fait.
Parce que qu’est-ce qui se passe ?
Quand on regarde le sens premier du mot avec cette idée de guider, d’inspirer, d’influencer les autres, en fait, on imagine bien que ça peut être n’importe qui.
Et en fonction du contexte, tu vois bien que tu as prévu de faire un barbecue et tu n’as pas de charbon.
Si tu utilises du charbon.
On peut tous se regarder et se dire comment on va faire pour faire griller nos légumes.
Ou quelqu’un va prendre les choses en main.
Et c’est ça, d’exprimer du leadership, finalement.
Donc on voit bien que ça peut être tout le monde.
Fred : Ça peut être ponctuel, en fait, même.
Alexis : Oui, et c’est ponctuel et c’est fluide.
Et c’est important que ce soit fluide.
Parce qu’à un moment donné, il va falloir que tu te dises bah oui, il faut que j’écoute cette frustration qui est là.
Elle me dit quelque chose.
C’est le moment de passer à l’action.
Et puis, à des moments, ça va être bien de soutenir l’action qui est en train d’émerger.
Et donc, il y a cette fluidité, elle est importante.
Et du coup, quand on se met à nommer les gens dans un rôle de leader, on les met dans un problème.
C’est que tout d’un coup, maintenant, ils devraient exprimer du leadership tout le temps.
Et soit c’est impossible, soit ça devient complètement bizarre.
Fred : Alors, est-ce que c’est pas justement bizarre de se dire qu’on nomme quelqu’un une personne de leader, alors qu’en fait, finalement, la personne devient leader parce qu’elle est reconnue comme leader par les autres.
Alexis : Oui, tout à fait.
Fred : C’est plutôt ça, en fait.
Parce qu’on ne pourrait pas nommer normalement quelqu’un.
Oui, c’est-à-dire qu’en fait, on ne pourrait pas nommer normalement quelqu’un de leader.
Alexis : Et donc, qu’est-ce qu’on essaye de faire ?
On essaie de créer des pseudo-rôles où les gens ne sont pas nécessairement complètement chefs, mais on va leur donner le pouvoir de décision.
On va leur donner le pouvoir de décider pour les autres parce qu’on n’est pas sûr que tout le monde soit d’accord.
Et qu’on se dit qu’on ne va pas trouver le moyen de prendre une décision en étant tous d’accord.
Alors qu’en fait, on sait qu’il y a des processus pour décider de sujets communs et que c’est important de les apprendre, les différents processus, parce qu’ils ont tous des effets de bord.
Donc, en fait, il n’y a pas besoin de faire ce genre de choses.
Il n’y a pas forcément besoin d’avoir un chef, il n’y a pas forcément besoin de nommer quelqu’un qui va avoir le pouvoir de décider.
Fred : Alors, leader, c’est un mot d’origine anglaise, qui, je crois, a été accepté dans les dictionnaires.
Est-ce que toi, tu emploies une version, on va dire, francisée ?
Alexis : Non.
Fred : Non ?
Alexis : Alors, j’ai tendance à pas…
Quand je vais au Québec, généralement, on me le reproche assez souvent que j’émaille mon français de beaucoup de mots d’anglais.
Fred : Je crois qu’au Québec, ils disent aussi leader.
Mais est-ce que, par exemple, je crois que c’est dans la page Wikipédia ou je ne sais plus, où j’avais vu, peut-être, chef de file, meneur, est-ce que c’est la même chose ?
Ça s’en rapproche ?
Alexis : Oui, je pense qu’il y a cette idée…
Meneur, il y a bien cette idée de je mène quelque chose, je guide quelque chose.
Peut-être.
Je ne l’employerai pas et je n’y mettrai pas nécessairement complètement le même sens.
Mais si ça peut aider les gens à mieux embrasser ce que ça veut dire et à peut-être le voir aussi, peut-être plus positivement, ça peut être sympa.
Fred : Oui, parce que…
Quand je t’ai invité dans l’émission, je t’ai prévenu que pour beaucoup de gens, pour pas mal de gens quand même, le terme de leader, de leadership, ça fait penser aussi au développement personnel, ça fait penser à bullshit, pour faire un résumé.
Je te disais que…
J’ai fait, par exemple, en préparant l’émission, j’ai posé la question autour de moi un petit peu en me disant si je vous parle de leader, leadership, qu’est-ce que ça vous évoque ?
Alors il y a une personne, donc je ne citerai pas pour respecter son intimité, qui m’a dit que ça fait partie du vocabulaire du neo-management.
Donc connaissant ces personnes, c’est pas du tout un compliment.
Quand tu entends ça, neo-management…
Alexis : Je suis pas très surpris.
Fred : C’est une mauvaise opinion.
C’est pas vraiment une mauvaise opinion, c’est quelque part une mauvaise image, en fait, la notion de leader.
Alexis : Oui, parce qu’en fait, l’organisation de nos entreprises, et on mérite beaucoup mieux, l’organisation de nos entreprises, en fait, et de toutes les organisations…
Fred : Oui, parce que ça ne concerne pas que les entreprises.
Alexis : Oui.
S’inspire beaucoup d’une vision où il faut un chef et les gens doivent obéir à un chef.
Et cette idée, elle est bien répandue.
Puis il y a la deuxième idée qui est vraiment répandue.
Quelqu’un de vraiment influent dans le domaine de l’organisation des entreprises, c’est Taylor.
Il écrit un bouquin en 1911 pour décrire ce qu’il conseillait et ce qu’il observait dans la deuxième partie de la révolution industrielle, ce qui n’est pas forcément recommandé aux gens.
Donc, la division du travail, en fait, qu’est-ce qu’on est ?
On considère qu’on ne peut pas faire confiance aux gens et qu’il faut diviser le travail et contrôler que le travail est fait.
Fred : Comme dans les temps modernes de Chaplin.
Alexis : C’est ça, c’est ça.
C’est merveilleux.
C’est une merveilleuse illustration.
Et donc, du coup, ça devient tellement…
C’est un phénomène d’illusion collective.
Et finalement, on se met tous à penser qu’on ne peut pas faire confiance aux gens et qu’il faut qu’il y ait un chef qui commande et qui contrôle.
Et on essaie de sortir de ça.
Et en fait, toutes les organisations, elles ont tendance à reproduire ces schémas hiérarchiques de commande et de contrôle et de défiance.
Et en fait, en vrai, ça pourrait fonctionner autrement.
Et d’ailleurs, il y a des entreprises qui sont plus progressives, qui ne sont pas traditionnelles et qui sont organisées complètement différemment.
Et en fait, c’est ça que j’ai envie de faire.
Fred : Est-ce qu’une personne qui est leader, elle décide forcément ?
Alexis : Non.
Fred : Pas forcément ?
Alexis : Ben non, elle va créer les conditions pour que les gens puissent prendre des décisions.
Quand je disais tout à l’heure, je donnais l’exemple, ben oui, un ouvrier qui est sur une ligne d’assemblage et qui voit qu’il y a plusieurs points au-dessus de la moyenne et qu’il y a clairement une dérive du process, il va arrêter la machine et il va dire « Attendez, on a un problème. »
Fred : Et pour toi, ça c’est du leadership ?
Alexis : Ben oui.
Fred : D’accord.
Alexis : Il vient de prendre la décision d’arrêter.
Quand on fabrique, quand on est sur une chaîne de fabrication, le but, c’est de fabriquer.
Dans plein d’endroits, on était même payé au nombre de pièces qui étaient fabriquées.
Ça ne donnait pas des résultats de qualité extraordinaire mais là, il va du coup prendre la décision d’arrêter de fabriquer.
Ça va arrêter tous les autres.
Fred : Donc finalement, le leader, le leadership, ce n’est pas forcément un haut niveau.
Je vais t’expliquer ma remarque, ma question.
J’ai aussi demandé autour de moi, citez-moi des noms de leaders sans réfléchir trop longtemps.
Quel nom vous vient à l’esprit ?
Par exemple, sur le salon web, on m’a cité Jésus, Gandhi, Rosa Parks, Martin Luther King.
Moi, j’ai pensé à Angela Davis.
J’ai pensé à Anne-Sophie Pic, qui est une cheffe trois étoiles.
Sur le salon, on a même dit « j’oserais rajouter Mélenchon avec la capacité qu’il a de déplacer les foules ».
On est sur cause commune.
Et dans d’autres…
Alexis : Ça va, ça n’a pas trop dérivé.
Fred : On m’a aussi cité Mandela.
Je ne citerai pas les autres où ça a un peu dérivé.
Mais, en tout cas, ce sont des gens qui sont au-dessus de la norme quelque part.
Et finalement, ce que tu expliques, c’est que le leadership, ce n’est pas uniquement ces personnes-là.
Je ne sais pas si toutes ces personnes-là, tu considères que ce sont des personnes qui sont des leaders dans celles que j’ai citées.
Alexis : J’ai l’impression que oui, parce qu’elles ont eu cette influence sur d’autres.
Fred : Elles ont mené des autres vers un changement.
Alexis : Exactement.
En tout cas, elles en avaient l’intention.
Et donc, du coup, je pense que ça correspond bien à cette définition.
Le truc, c’est qu’on a tendance… Et là, c’est pour ça que je disais que ça n’a pas trop dérivé parce qu’on n’a pas de style autoritaire ou de gens qui vont décider pour d’autres.
Fred : On a parlé de Mélenchon, là.
Non, c’est une blague.
C’est une blague.
Alexis : Ce n’est pas mal.
Non, mais j’en avais d’autres en tête qui pouvaient être plus autoritaires.
Fred : Tu peux donner un exemple si tu veux.
Alexis : Avec des conséquences plus négatives.
Fred : Donc, un leader peut être négatif, en fait ?
Non, ça peut être les conséquences pour la société ou son environnement qui peuvent être négatives.
Parce que tu emmènes une partie des gens… Je vais prendre un exemple.
Si je prends Napoléon, il y a des gens qui vont trouver que Napoléon, c’est vachement bien.
Alors, ça dépend dans quel pays en Europe.
Mais on peut quand même voir quelques conséquences négatives de tout ça.
Il y a des effets.
On peut rationaliser les aspects positifs.
J’ai absolument aucun doute là-dessus.
On est très bon en histoire pour faire ça.
Mais on peut quand même se dire, est-ce que c’est vraiment ça que j’ai envie d’émuler et de reproduire ?
Bon, peut-être pas.
Tu citais une chef de cuisine.
Fred : Anne-Sophie Pic.
Alexis : Voilà.
Moi, généralement, je pense, quand j’essaie de dire aux gens qu’il y a d’autres postures de leadership, j’essaie de penser à Alexandre Mazzia, qui est aussi un chef étoilé.
Et dans sa cuisine, on ne crie pas, on n’insulte pas les gens, on ne met pas de pression.
Et en fait, quand tu regardes, ils sont très agiles dans leur fonctionnement.
Ils font des petites rétrospectives sur comment ça s’est passé.
Ils contribuent tous à proposer des choses.
Je trouve ça fascinant, leur façon de travailler.
Il a quand même trois étoiles, Michelin.
Ça n’empêche pas à être vraiment très, très bon dans cet environnement-là.
Mais du coup, ça nous définit autre chose comme posture de leader.
C’est plutôt un hôte qui va inviter des gens à venir partager quelque chose.
Et ça, c’est un peu différent quand même.
Fred : Et donc, dans une brigade de cuisine, il peut y avoir plusieurs leaders.
Il y a le chef ou la cheffe.
Et puis, peut-être que dans certains domaines de cuisine, des gens vont émerger.
Parce que l’un de tes…
Dans la description d’émission, ce n’est pas que leadership, c’est le leadership émergeant.
Alexis : L’idée, c’est de réussir à créer les conditions pour que le leadership émerge dans l’organisation.
Donc, en fait, qu’on ait de nouveaux leaders.
Et qu’en fait, idéalement, on puisse tous être leaders.
Alors, je dis bien que c’est idéalement qu’on puisse l’être.
C’est-à-dire que c’est une invitation.
Ce n’est pas une obligation.
Voilà.
Parce qu’il y a des moments dans la vie où tu n’as pas envie, pas l’énergie, pas la possibilité et que tu seras ravi de pouvoir suivre.
Mais ce n’est pas le bon moment pour toi.
Et donc, c’est OK.
Fred : Mais est-ce qu’il peut y avoir deux leaders sur une même thématique ?
Alexis : Oui.
Les gens peuvent être intelligents, en fait.
Fred : Ah ouais ?
Alexis : Oui.
Et en fait, quand tu ne les mets pas en compétition les uns avec les autres, en essayant d’imaginer que quelqu’un va être gagnant, mais quand tu te poses la question de comment on va faire pour que l’équipe puisse, en gros, gagner, accomplir ses objectifs, en fait, tu mets les gens dans une position complètement différente.
Quand tu ne les obliges pas à essayer de gagner par rapport à un autre, tu viens de créer quelque chose de différent.
En fait, c’est bien les conditions que l’on crée qui permettent aux gens de collaborer ou pas.
Fred : Alors, on va revenir sur les conditions.
Je relève une question du salon web de Julie.
« Je m’interroge sur le fait qu’à un moment donné, chacun puisse être, ou chacune, puisse être leader sur un projet. »
Alexis : Oui.
Fred : C’est ça, en fait, Julie.
Alexis : Oui.
Fred : Alors, je ne sais pas si la question peut-être de Julie… Tu t’interroges sur la possibilité… Allume ton micro, Julie, vu que tu es en régie.
Peut-être que tu peux préciser ta question.
Julie : D’après ce que vous avez dit sur l’histoire du barbecue, donc, si à un moment donné, on se sent, comme vous avez dit, on n’est pas fatigué, on est dans les conditions, on se sent l’envie de… leader, et puis on est bon en barbecue, et puis on a vu des choses.
Donc, à ce moment-là, on sera leader, comme dans n’importe quel autre mini-projet ou gros projet.
Donc, chacun, est-ce que chacun peut émerger leader à un moment donné ?
Alexis : Oui.
Et puis, du coup, ça suscite des vocations.
Moi, je vois bien, quand les gens commencent à collaborer pour faire la cuisine, j’essaie de m’éloigner de l’endroit où on fait la cuisine, parce que je pense que mes compétences ne sont pas là.
Mais du coup, je fais d’autres trucs.
Par exemple, je peux faire la vaisselle, débarrasser, puisque ça, c’est moins difficile, c’est plus dans mes cordes.
C’est peut-être moins marrant, mais c’est quand même utile.
Voilà.
Fred : Alors, l’exemple du barbecue est excellent pris par Julie et que tu as pris tout à l’heure pour faire griller les légumes, parce que ça me fait venir une question qui a un rapport.
Les leaders, entre guillemets, alors je vais prendre des gros guillemets naturels ou auto-désignés des barbecues, ce sont les hommes.
Alexis : Ah oui, je n’avais pas pensé à ça.
Fred : Ah bah si, mais attends, je vais compléter par…
Donc, pareil, j’ai demandé autour de moi un petit peu ce que les gens pensaient autour du leadership ou ce qui leur venait à l’esprit.
Et dans une classe d’élèves en éducation spécialisée, pour la plupart, « ça nous fait penser à un terme plutôt utilisé pour les hommes, fort, avec des responsabilités. »
Et donc, j’ai posé la question.
Pour vous, leader, ce serait avant tout un homme.
La réponse a été oui.
D’où le barbecue, où historiquement, enfin, on le sait bien, c’est la chasse gardée des hommes, alors qu’en fait, ça n’a aucun rapport.
Alexis : Oui, non, ça n’a pas vraiment beaucoup de rapport.
Fred : Et donc finalement, les leaders, et en plus, souvent les noms de leaders qui nous viennent à l’esprit sont souvent des hommes.
Est-ce qu’il y a un…
Alors, je ne veux pas dire qu’il y a un leadership féminin, mais est-ce que la possibilité d’accéder à ce rôle…
Alors, c’est pas un rôle, c’est quoi ?
Alexis : Si on n’en fait pas un rôle ni un statut, du coup, la possibilité d’y accéder devient plus simple, puisqu’il suffit de l’exprimer.
Fred : Mais est-ce qu’il est autant ouvert aux hommes qu’aux femmes ?
Alexis : C’est là où je disais qu’il faut créer les conditions pour.
Quand on crée les conditions pour que le leadership émerge, ça devrait être accessible autant aux hommes qu’aux femmes, puisqu’on devrait créer les conditions pour que ce soit accessible aux hommes.
Est-ce que dans notre société, aujourd’hui, ou est-ce que quand on réfléchit à qui sont les leaders, est-ce qu’on pense plus à des hommes qu’à des femmes ?
Bah oui.
Est-ce qu’on a des biais ?
Ah oui, je suis désolé, on en a un, et même moi, en mince.
Fred : Alors, quelles sont les bases pour que ce leadership émerge dans les organisations ?
Quelles qu’elles soient.
Ou même dans les groupes, en tout cas.
Alexis : Déjà d’expliciter que c’est possible, en fait.
En fait, c’est très amusant de voir que tant que tu te dis je vais faire les choses parce que personne ne va le faire, cette hypothèse est vérifiée.
Si tu te dis je vais faire les choses parce que personne ne va le faire, l’hypothèse est vérifiée.
Et il y a une bonne raison pourquoi les autres ne font rien.
Parce que toi, t’es en train de tout faire.
Donc, de toute façon, il n’y a rien à faire.
Si maintenant, tu laisses de la place, il y a du potentiel pour que les autres puissent faire.
Alors après, comme ils ne sont pas habitués à ce que ça arrive, généralement, ils sont un peu sceptiques.
Ils ne sont pas sûrs qu’ils ont le droit, qu’ils ont la permission de.
Et donc, peut-être qu’il faut l’expliciter.
Peut-être qu’il faut l’inviter.
Et comme n’importe quel hôte, on parlait d’Anne-Sophie Pic, d’Alexandre Mazzia, eux, c’est des hôtes qui vont réussir à t’inviter à venir partager ou faire des choses.
Et en fait, c’est amusant comme ça marche.
On a fait un grand séminaire avec Isabel dont on parlait tout à l’heure.
Fred : Isabel Monville, ton épouse.
Alexis : Ouais.
Avec 70 participants.
Et notre client nous a dit en fait, ce qui serait génial, c’est qu’on fasse la cuisine tous ensemble.
Et là, tu te dis, ça va être compliqué, ça.
Eh bien, en fait, ça s’est très, très bien passé.
Alors, ça a demandé un poil d’organisation.
Mais tout le monde avait un rôle.
Ça s’est passé très, très vite.
Et en moins de deux heures, il y avait justement un barbecue.
Barbecue, entrée, dessert, organisation des tables, apéros, machin.
Tout a été organisé par tout le monde.
Tout le monde a eu un rôle.
Fred : Mais comment les rôles ont été définis ?
Se sont auto-choisis les rôles ?
Alexis : Alors, en fait, il y avait quand même quelqu’un qui avait un peu créé de conditions pour que ça puisse s’organiser.
C’est-à-dire qu’il y avait une grande jarre avec des rôles.
Et donc, tu piochais dans la jarre et t’avais ton rôle.
Et donc, t’étais soit aux entrées, soit au barbecue, soit à la préparation des tables, soit, etc., etc.
Et donc, tu piochais et t’avais un rôle.
Et hop, t’étais parti.
Et du coup, tu te retrouvais avec une petite équipe où il fallait faire les entrées, les gars.
Alors, les menus avaient été faits avant, les courses avaient été faites avant.
Il y avait un petit peu d’organisation pour que ça puisse marcher.
Mais du coup, tout le monde pouvait jouer un rôle.
Et tu voyais bien différents styles émerger.
C’est ce qu’on n’est pas habitué.
Fred : Alors, je me demande, est-ce qu’il y a différents styles de leadership ?
Alexis : Je l’évoquais tout à l’heure quand je disais que ça n’a pas trop dérapé sur l’autoritarisme, même si je fais l’hypothèse que ça a dû quand même.
Fred : Je pourrais te citer les noms où il y a beaucoup d’autoritarisme, mais je préfère les éviter.
Alexis : D’accord.
Ok.
Donc, oui, on va décrire différents styles, mais j’insiste.
Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de faire émerger du leadership autoritaire parce que ça n’a pas de sens.
Ce qui m’intéresse, c’est justement cette idée d’empathie, de transparence, où on puisse ensemble prendre les décisions qui nous importent, qui nous concernent et qui vont nous permettre d’avancer ensemble.
Fred : Et tu as aussi employé un terme, empathie, transparence, alignement tout à l’heure.
Ça me parait important ce terme.
Qu’est-ce que tu entends par alignement ?
Alexis : En fait, c’est de réussir à se dire qu’on a des objectifs communs.
Et en fait, on a tous notre propre idée de ce que l’on veut faire dans la vie.
Et ça peut être plus ou moins grandiose, on s’en fout, le problème n’est pas que ce soit grandiose, ce n’est pas ça.
Mais on a tous une envie, une certaine idée de ce que l’on veut faire.
Elle est peut-être plus ou moins floue, plus ou moins définie.
Il y a des gens qui passent plus de temps à y réfléchir que d’autres.
Et c’est ok, ce n’est pas un problème.
Et du coup, quand on réunit plusieurs personnes, elles n’ont pas forcément immédiatement l’idée claire de vers où on va tous ensemble.
Et en fait, c’est important d’avoir cette compréhension, de construire cette compréhension commune.
Et ce n’est pas évident, ça paraît évident comme ça, évidemment, puisqu’on est dans la même équipe, on va tous dans la même direction.
Ce n’est pas complètement vrai.
Et ça peut se passer dans des projets associatifs ou dans des entreprises.
Ce n’est pas réservé au domaine des grandes entreprises.
Cette idée qu’il faut réussir à construire ensemble cette direction commune et ces objectifs partagés.
Et c’est ça, pour moi, c’est aligner.
Et une fois qu’on est alignés, du coup, on se retrouve à ramer dans la même direction.
L’image des rameurs sur un bateau n’est peut-être pas idéale, mais c’est un peu l’idée.
Fred : Ça dépend lesquels.
Alexis : La première qui m’est venue.
Fred : Si c’est dans les galères, ce n’est pas terrible, mais si c’est dans l’aviron, ça va.
On va dire que c’est pas mal.
Alexis : On va prendre l’avion.
Fred : Dans un livre de Jim Collins, je ne sais plus qui est Jim Collins, je crois qu’il est un ancien prof à Stanford.
Et aujourd’hui, il conseille des organisations.
Il parle notamment de leadership et un certain nombre de caractéristiques des leaders.
Par exemple, lui, il considère qu’un leader doit avoir une personnalité modeste qui permet à l’organisation de donner toute sa mesure, au contraire de leaders charismatiques, égocentriques qui écrasent souvent les équipes qui les entourent.
Alexis : C’est intéressant.
Jim Collins, j’aime beaucoup ses bouquins.
Il n’y a pas de problème là-dessus.
Quand il parle de leader, là, il faut être clair, il parle des dirigeants des entreprises qu’il a étudié.
Fred : Effectivement.
Alexis : Dans ce contexte-là, c’est ça.
Fred : C’est un type d’entreprise.
Il a étudié les entreprises.
Alexis : Il a étudié les entreprises et quand il parle de leader des entreprises, il parle des dirigeants de ces entreprises.
Il identifie le leadership à un rôle, une fonction de direction de l’entreprise.
Mais quand il parle de leur style de leadership, il parle en effet du leadership tel que je l’ai défini tout à l’heure.
C’est assez intéressant.
En fait, quand il parle du style de leadership, on voit bien qu’il évoque l’humilité, ou il évoque une personnalité égocentrique qui va écraser tous les autres sur leur passage.
Tu vois bien qu’il y a deux styles qui sont quand même radicalement différents.
Et dans toutes les entreprises qu’il étudie, il regarde celui qui est en train de construire quelque chose pour lui, en gros pour extraire le maximum de valeur pour sa pomme par rapport à une organisation, ou celui qui est en train de construire quelque chose pour que l’organisation serve un but, quel qu’il soit, et qui va tout faire pour que l’organisation puisse mieux servir ce but, mais qui se met finalement de côté par rapport à ça, évidemment, ils n’ont pas du tout le même style.
Ce qui est intéressant, c’est que dans les études qu’ils font, l’impact que ça a sur les résultats de ces entreprises, de toutes ces organisations, sur le long terme, puisqu’ils font des études sur plusieurs dizaines d’années, l’impact est radicalement différent.
Il y en a beaucoup qui disparaissent de ces entreprises, dans le cas du leader qui écrase tout le monde sur son passage, ou alors ils sont remplacés, et au fur et à mesure, ils ne durent pas très longtemps.
Fred : Et le leader qui est avant tout là pour sa propre avancée, plutôt que de faire avancer le collectif.
D’ailleurs, ce qu’il dit a un moment, c’est un leader qui va réussir quelque part par rapport au collectif, c’est une très forte ambition, avant tout, pour que la structure soit la meilleure.
Ce n’est pas une très forte ambition pour le leader, la personne, mais pour la structure, pour le collectif.
C’est un leader ou une leader ?
Comment on dit en féminin ?
On dit une leader ou une leadeuse ?
Alexis : Écoute, je ne sais pas.
Je suis très embêté depuis ce point.
On imagine que les leaders sont des hommes, ça m’embête, mais je ne sais pas.
C’est très embêtant.
Fred : On va dire leadeuse.
Est-ce qu’un leader ou une leadeuse doit avoir une forte personnalité ?
Est-ce que c’est obligatoire ?
Alexis : Je ne crois pas.
Non, parce que j’ai vu des gens qui ne sont pas ceux qui parlent le plus fort, ceux qui parlent nécessairement le mieux, ceux qui vont s’imposer sur quelque chose et qui vont avoir énormément de leadership, énormément d’influence sur le collectif, parce que les autres vont leur reconnaître cette influence et vont les écouter.
Ce n’est pas parce qu’ils parlent le plus fort, parfois, c’est même parce qu’ils parlent le moins fort.
Fred : On a pris des exemples tout à l’heure de noms cités de leaders, dont l’un est actuellement le leader, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon.
En tout cas, il est vu par ses troupes comme le leader.
Mais il se pose une question, c’est que les gens ne sont pas immortels.
Il se pose la question de la succession.
Comment une personne qui, à un moment, est leader ou leadeuse, va préparer cette succession ?
Notamment dans des organisations aussi importantes qu’un parti politique, ou qu’une entreprise, ou qu’une association d’ailleurs.
Comment se prépare-t-elle cette succession ?
Est-ce qu’elle doit se préparer ?
Alexis : Oui, elle doit se préparer parce que les gens vont identifier l’organisation à la personne qui l’a créée, par exemple.
Et donc, ça arrive pour des startups, mais ça arrive à des plus grandes organisations, même celles qui ont des organisations très horizontales.
Et du coup, il faut préparer cette succession parce que quand cette figure fondatrice s’en va, même si quasiment rien ne repose sur elle, ça peut déstabiliser l’organisation.
Et donc, en fait, ça doit être préparé.
Et en fait, il y a différentes stratégies pour le faire.
Je parlais des rôles qui sont plus fluides.
Et donc, si tu as des rôles plus petits et que tu peux cumuler plusieurs rôles dans une organisation, au bout d’un moment, ce fondateur de l’organisation, il peut ne plus avoir de rôle ou un rôle de communication ou de représentation qui est un tout petit rôle par rapport à l’ensemble des rôles qui sont distribués dans l’organisation.
Et finalement, ça rassure tout le monde que ce petit rôle-là, il peut le passer à quelqu’un d’autre.
Et est-ce qu’on a besoin d’une figure tutélaire ou de quelqu’un qui va décider de tout ?
Non.
Il y a des organisations qui montrent ça.
C’est amusant.
Il y a une organisation qui fait du soin à domicile au Pays-Bas qui s’appelle Buurtzorg.
Ça a été monté par des infirmiers et infirmières qui en avaient marre de travailler pour ces grandes boîtes qui ont adopté des grands principes de taylorisme pour aller faire du soin à domicile.
Et parce qu’ils ne pouvaient pas avoir une relation de suivi avec les patients.
Donc, ils ont décidé de monter une boîte eux-mêmes pour faire du vrai suivi avec leurs patients en disant que tout est codifié dans le domaine de la santé.
Oui, faire une piqûre, c’est codifié.
Tenir la main d’un patient pendant 10 minutes pour le rassurer, ce n’est pas codifié.
Mais si on veut garder les gens autonomes et responsables le plus longtemps à domicile, en fait, tenir la main, c’est un truc important.
Et ça, tu le sais si tu as un suivi régulier.
Ils ont monté cette boîte et là, on peut imaginer quelques infirmiers qui se mettent ensemble pour faire du soin à domicile.
Après tout, on arrive à se l’imaginer.
Je vais vous donner un autre chiffre maintenant.
Maintenant, ils sont 11 000 dans cette organisation.
Ils ont pris la moitié du marché des soins à domicile à Pays-Bas.
Et l’autre chiffre qui est vraiment important, c’est qu’en termes de fonction support, ils sont moins de 50 personnes.
Ils sont tous organisés en petites équipes de maximum 12 personnes.
C’est-à-dire que quand ils pensent qu’ils pourraient augmenter leur zone géographique où ils interviennent, s’ils sont déjà 12, il faut créer une nouvelle équipe.
Et donc, ces fonctions support sont réduites au minimum.
Fred : Pourquoi 12 ?
Alexis : Parce qu’au-delà d’un certain nombre, tu as plus de difficultés à être très proche des gens et ça multiplie les canaux de communication.
Et donc, ça rend les choses plus compliquées.
Ça rend la communication plus compliquée, etc.
Fred : C’est empirique, dans leur cas ?
Alexis : Dans leur cas, c’est empirique, oui.
Tu as une autre boîte où ils sont énormément, qui sont organisés en micro-entreprises de maximum 15 personnes.
Pour vous donner une idée, ils sont 120 000.
Et ils sont organisés en micro-entreprises de 15 personnes, qui ont soit des clients externes, soit internes, soit les deux.
Donc, c’est tout à fait possible d’avoir des entreprises de taille gigantesque organisées en petites équipes pluridisciplinaires qui se démerdent toutes seules.
Il n’y a pas de problème.
Fred : Alors, il nous reste peu de temps.
Avant de te faire parler de ce que tu fais actuellement, parce que tout à l’heure, on était resté Red Hat, entreprise américaine à Boston, mais tu n’es plus à chez Red Hat, maintenant tu es de retour en France.
Mais avant que tu parles de ça, de ta structure que tu as créée avec Isabel Monville, ton épouse, je vais juste te faire réagir sur…
J’ai regardé un petit peu des définitions de leadership et j’ai trouvé une description dans une conférence TEDx.
C’est des conférences très courtes.
La personne dit, « le rôle d’un leader est de préparer la scène et non de s’y produire. Si nous voulons créer un meilleur futur, et je pense que c’est pourquoi beaucoup d’entre nous sommes ici, il faut que nous réinventions notre tâche. Et notre tâche est de créer un environnement dans lequel les talents de chacun et chacune puissent être à son plein potentiel et devenir une partie de l’ingéniosité collective.
Alexis : Ça me parle pas mal.
Maintenant, je suis très inquiet de savoir qui l’a dit.
Fred : Je retrouve le nom parce que c’est dans mes notes et je ne suis pas sûr.
Je crois que c’est dans la conférence, mais je vérifierai et je le mettrai sur les notes de l’épisode, de l’émission.
Je crois que c’est « Comment développer la créativité de vos collaborateurs et collaboratrices » par Linda Hill, mais je vérifierai exactement.
Alexis : En tout cas, oui, ça me paraît vraiment aligné avec ce que je pense.
Fred : On va finir les quelques minutes qui nous restent rapidement sur ce que tu fais aujourd’hui.
Tu étais à Boston.
On ne va pas expliquer pourquoi, mais tu rentres en France.
Tu quittes Red Hat.
Tu te lances dans un nouveau projet avec ton épouse, Isabel de Montville, qui s’appelle Pearlside.
C’est quoi ce projet ?
Ça fait un an, c’est ça ?
Alexis : Ça fait un an, exactement.
C’est quoi ce projet ?
Après presque dix ans passés chez Red Hat, je me suis dit que si je voulais faire autre chose dans la vie, il fallait que je m’y mette maintenant parce qu’à un bout d’un moment, j’allais vraiment être trop vieux.
Pourquoi ça s’appelle Pearlside ?
Parce que Pearlside, c’est un anagramme de leadership.
Enfin, presque.
Fred : Oui, presque.
Alexis : A un lettre près. La plupart des gens ne le voient pas.
Pourquoi ?
Parce qu’on s’intéresse justement à cette idée de leadership et on s’intéresse à faire émerger des leaders et à créer des équipes de leadership.
Pourquoi on fait ça ?
Justement pour aller vers des organisations qui sont différentes et qui s’échappent des modèles traditionnels.
Des organisations où l’information va être partagée.
On a évoqué la transparence.
La façon dont est partagée l’information, c’est un des grands critères qui va définir une organisation.
Le système de récompense, c’est quelque chose qui va définir une organisation.
Des organisations progressistes qui partagent les profits entre les propriétaires et les gens qui travaillent, c’est intéressant.
Et ça change la façon dont les gens se comportent.
Des organisations qui définissent dans le système de récompense que le salaire maximum ne peut pas être plus de X fois le salaire minimum, ça change les rapports dans l’entreprise.
C’est peut-être une bonne chose de repenser ces choses-là à un moment donné.
Des organisations qui n’ont pas besoin d’avoir 50 niveaux hiérarchiques, c’est peut-être pas mal aussi.
Des organisations où on peut avoir plusieurs rôles et où les rôles sont plus fluides, c’est peut-être pas mal aussi.
Et en fait, quand on regarde, quand je dis que c’est peut-être pas mal aussi, les chiffres me donnent vraiment raison.
C’est vraiment beaucoup mieux en termes de productivité, tout bêtement, pour prendre des chiffres bien concrets, en termes de satisfaction des clients et surtout en termes de satisfaction des employés.
Et en termes d’engagement des personnes, on est dans des mondes différents.
On est, dans le monde des entreprises traditionnelles, on est à l’employé sur quatre qui est engagé.
Voilà, c’est pas mal.
Dans le monde de ces boîtes-là, on est plutôt à plus de 75%.
Donc on vient de changer quand même vraiment les règles.
Et des gens qui se sentent mieux dans ce qu’ils font, moi je pense que c’est une bonne idée.
Et des gens qui ont plus d’impact et où ça se voit, que c’est perçu par leurs clients, internes ou externes, je pense que c’est plutôt une bonne idée et c’est ça qu’on a envie de construire.
Et ça s’appelle Pearlside pourquoi ?
Au-delà d’être un anagramme de leadership, parce que quand on pense à un grain de sable, on peut penser à quelque chose qui va gripper un mécanisme bien huilé.
Et nous on préfère penser qu’un grain de sable c’est aussi ce qui va créer une perle.
Fred : Ce qui peut créer aussi du verre quand il est bien chauffé, ouais.
Et donc là vous travaillez à deux, c’est vraiment…
Alexis : C’est le tout début, ouais.
Fred : Il y a une volonté de grossir ou c’est une volonté de rester à deux ?
Alexis : Alors on n’est pas encore complètement figés là-dessus.
On aimerait bien à un moment donné que d’autres nous rejoignent sous cette bannière Pearlside.
Pourquoi ?
Parce que on est souvent la moyenne des gens qui nous entourent et on a envie d’être aussi challengés dans notre façon de penser, dans nos approches.
Et s’il y avait d’autres personnes qui ont envie de nous rejoindre, ça nous challengerait un peu.
Ça créerait de l’émulation et ça nous permettrait aussi peut-être de travailler sur des projets différents.
Fred : Et c’est quoi votre type de client actuellement ?
Alexis : Alors on a deux grandes catégories de clients.
C’est soit des startups où on travaille plutôt avec les fondateurs pour les extraire de ce mode où tout repose sur le fondateur et plutôt les amener justement à créer des équipes, une équipe de leadership qui va les enlever de la photo progressivement pour éviter qu’ils soient sur toutes les photos et sur toutes les décisions et sur toutes les actions.
L’analogie avec le sport collectif va bien.
T’imagines que si t’as le fondateur de l’équipe qui court après tous les ballons, ça va pas marcher.
Et aussi des entreprises plus grandes qui ont déjà grandi et qui ont besoin d’adapter leurs modèles parce qu’elles ont souvent grandi avec des modèles traditionnels et qui sont plutôt rigides, qui ont plutôt tendance à éteindre la créativité et l’innovation et à désengager les gens et donc ils ont besoin d’aller vers des modèles un peu différents.
Fred : D’accord.
Je voulais une question de Julie sur le salon web.
Est-ce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui utilisent ces organisations de travail ?
Alexis : Alors il y en a pas mal.
Elles sont méconnues et on a généralement, quand je vous raconte Buurtzorg, ou l’autre, vous êtes tout à fait étonné, ça vous paraît des anomalies.
C’est presque des anomalies mais il y en a de plus en plus des entreprises comme ça et c’est bien.
Je pense qu’il y en aura encore de plus en plus si on les fait connaître et si on montre qu’en fait c’est possible de s’organiser vraiment différemment et parce qu’à un moment donné, les gens n’auront plus envie d’aller travailler dans les autres entreprises.
Voilà, j’espère.
Fred : Oui parce que finalement il y a aussi un enjeu de plaisir au travail.
Alexis : Oui.
Fred : Et de sens.
Alexis : Du coup, si je me fais plaisir, si je maîtrise ce que je fais, si j’ai de l’autonomie dans ce que je fais et si ça a du sens, normalement, oui, je me lève le matin et j’ai envie d’y aller.
Fred : Et le dimanche soir, on n’a pas le blues du dimanche soir.
Alexis : C’est ça.
Fred : Normalement.
Alors il nous reste encore quelques minutes mais je vais quand même, avant d’oublier, parce que c’est… on va essayer d’avoir cette question rituelle même si on ne l’a pas fait tout le temps.
Donc qui n’a absolument rien à voir avec le sujet.
As-tu envie de nous partager quelque chose qui t’a émerveillé ou fait du bien dernièrement ?
Alexis : Le truc que j’ai envie de partager, il est un peu paradoxal.
C’est un livre qui… dont je n’ai pas le titre en français, là, comme ça, ça ne me vient pas.
C’est Amusing Ourselves to Death.
Donc c’est Se divertir jusqu’à la mort.
Donc évidemment, parler comme ça et l’émerveillement est peut-être un peu loin.
Alors, pourquoi j’ai lu ce livre qui a été écrit dans les années…
Fred : L’auteur, c’est qui ?
Tu te souviens ?
Alexis : Neil Postman ?
Peut-être.
Je ne suis pas complètement sûr.
Pourquoi j’ai lu ce livre ?
Parce que ça fait partie des bouquins que j’avais demandé à…
Comme je travaillais avec pas mal d’Américains, ils utilisaient des références que je n’avais pas, puisque forcément, je n’ai pas fait mes études là-bas.
Et donc, j’ai demandé à ma fille, qui, elle, était aux Etats-Unis pour son lycée et l’université, du coup, de me donner des références que les autres avaient.
Donc, il était parmi ces références.
J’ai mis du temps à le lire parce qu’un bouquin écrit dans les années 80, qui parlait de l’influence de la télévision sur la façon de penser et d’éduquer aux Etats-Unis, je voyais pas bien le point.
Bon.
Alors, je l’ai lu.
Et du coup, ça m’a fasciné sur, en effet, comment finalement, des inventions, comme le télégraphe, comme l’imprimerie, bien sûr, mais ça, ça vous paraît évident, l’éducation, elle passe du système oral, à un moment donné, on invente le papier, on invente l’écriture, et puis, à un moment donné, on invente l’imprimerie, ça change la façon dont on peut diffuser de l’information et de l’éducation.
À un moment donné, on invente le télégraphe, et ça va créer de l’instantanéité.
Puis on va avoir la radio, et on va avoir la télévision, et à un moment donné, tout va devenir du divertissement.
Et du coup, un bon prof, c’est un prof qui est divertissant.
En fait, ça change l’éducation, et ça change notre façon de penser.
Tu faisais référence à TED, ben oui, à un moment donné, notre temps d’attention, il est tellement court que 20 minutes, c’est déjà super long.
Fred : Est-ce que tu peux juste rappeler ce que sont les conférences TED ?
Je l’ai fait très rapidement, mais vas-y.
Alexis : Les conférences TED, c’était créé dans les milieux des années 80, pour avoir des conférences sur les technologies, le divertissement et le design, et dire, on va partager des idées qui peuvent changer le monde.
Vachement intéressant, super format, de plus en plus professionnel, de plus en plus coaché.
Fred : Format très court, 12-20 minutes maximum, et en utilisant le parcours de la personne comme support des messages.
Alexis : Exactement.
Et donc, plutôt intéressant, plutôt bien fait, dans pas mal de cas, mais pas du tout du niveau de la première partie du XIXe siècle, et des débats dans les librairies publiques où le débatteur 1 avait une heure et demie pour parler, le débatteur 2, une heure et demie pour parler, et ensuite, ils avaient une heure pour clôturer le débat.
Et là, tu te dis, les gens allaient voir des débats comme ça.
Moi, je ne sais pas si je pourrais écouter quelqu’un pendant une heure et demie.
Fred : Tu sais qu’il y a des gens qui sont en train de nous écouter une heure et demie là, quand même.
Alexis : Oui, j’espère qu’ils vont pouvoir.
Mais tu vois, la conversation qu’on a, ce n’est pas la même chose qu’un speech d’une heure et demie.
Donc, en fait, évidemment, notre façon d’interagir, elle a changé.
Et puis là, évidemment, si tu te dis, avec l’émergence du web, l’émergence des réseaux sociaux, l’émergence des formats encore plus courts, beaucoup plus courts, on voit que notre temps d’attention va changer, et notre façon de penser change.
Et donc, on peut se dire, bah tiens, c’est terrible tout ça.
Et donc, pourquoi ça m’a émerveillé ?
Ça ne m’a pas émerveillé pour le livre, ça ne m’a pas émerveillé pour le constat du regard du monde que j’ai eu autour de moi, mais c’est plutôt par les conversations que j’ai eues à propos de ce livre, et avec cette idée de se dire, mais oui, en fait, je ne suis pas tout seul à penser différemment.
Je ne suis pas tout seul à penser comme ça.
Il y a d’autres gens autour de moi qui pensent comme ça.
Et bien, c’est peut-être travailler avec eux, collaborer avec eux, qu’ils soient proches ou loin, pour avoir une influence sur le monde qui serait bien.
C’est comme ces paysans qui partagent des semences pour assurer de la biodiversité, ou c’est comme ces artisans du logiciel qui font du logiciel libre, comme tu l’évoquais avant.
Bah oui, on peut peut-être trouver des gens qui peuvent nous aider dans nos avancées, dans nos… à accomplir les choses que l’on a envie d’accomplir, et on n’est pas tout seul.
Et en fait, il ne faut pas croire qu’on doit se résoudre à la peur ou à l’impuissance.
On peut faire autre chose et on peut le faire ensemble.
Fred : C’est une belle conclusion d’émission, surtout dans cette période très trouble.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Alexis : Écoute, non, là, je me dis, maintenant que tu as dit que c’était une belle conclusion, je pense qu’il faut qu’on reste là-dessus.
Fred : Avant de désannoncer l’émission, j’encourage aussi les gens à regarder ou chercher Alexis Monville et Isabel Monville sur Internet, parce qu’il y a des vidéos où vous avez fait des présentations à deux qui sont vraiment toujours très très intéressantes.
Alexis : C’est les meilleurs quand on est tous les deux, mais il faut que j’arrive à convaincre Isabelle qu’il faut le faire.
Fred : Alors, tu sais que j’avais envisagé que vous la fassiez à deux l’émission, mais je sais que c’est assez compliqué.
En tout cas, on la salue.
Et en tout cas, cherchez ce duo Isabel Monville et Alexis Monville.
Vous verrez des présentations sur des thèmes dont on a parlé tout à l’heure mais qui sont présentées à deux et c’est vraiment super.
En tout cas, un grand merci à Alexis.
Je vais rappeler ton site web aussi, alexis.monville.com ou monville.com, vous retrouverez aussi le site d’Isabel.
L’émission va bientôt se terminer.
Vous pouvez vous abonner au podcast, à la lettre d’actu de l’émission.
Les infos sont sur le site causecommune.fm.
Chemins de Traverse est en direct tous les mercredis à 22h.
Merci à vous d’avoir écouté l’émission.
N’hésitez pas à nous faire des retours.
Un formulaire de contact est disponible sur la page de l’émission sur le site causecommune.fm.
Tu parlais tout à l’heure de Saint-Exupéry.
Nous sommes ravis de vous avoir fidèles au rendez-vous régulier avec Chemins de Traverse le mercredi à 22h ou encore en podcast. Antoine de Saint-Exupéry nous rappelle d’ailleurs l’importance des rendez-vous réguliers et des rites. Dans le livre Le Petit Prince, il y a à un moment la rencontre du Petit Prince avec un renard. Ils discutent. Le lendemain, Petit Prince revient mais pas à la même heure. Le renard lui dit « Il eut mieux valu revenir à la même heure. Si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur. Il faut des rites ». Donc, merci à vous pour votre présente régulière chaque mercredi à 22h sur causecommune93.fm et en DAB plus en Ile-de-France, partout dans le monde sur causecommune.fm.
Juste après à 23h30, une émission inédite de Minuit Décousu qui ouvre les portes des cuisines, des brigades dans l’ambiance paramilitaire, pas tout le temps, des restaurants étoilés aux cuisines collectives.
Mercredi 13 novembre, notre invitée sera Emeline Parizel.
Alors Emeline est ingénieure de formation, sensible à l’art, à l’économie du don et aux changements climatiques. Au niveau professionnel, elle est cheffe de projet web et félicitatrice graphique. A côté de son travail, elle multiplie les engagements : fresque du climat, fresque du numérique, organisatrice de conférences et d’autres que vous découvrirez lors de l’émission. Elle est également vélo taffeuse et adapte du voyage à vélo, sur des circuits courts et aussi sur des circuits un petit peu plus longs genre Paris-Athènes 4 °00 km à vélo en 40 jours, en en parlant à la semaine prochaine. Et cerise sur le gâteau, elle sait partager ses passions avec une très belle énergie communicative, vous allez aimer découvrir la pétillante Emeline Parizel.
On se donne donc rendez-vous mercredi 20 novembre, salut et solidarité.
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