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Émile-Armand Benoit, l'alchimiste de Notre-Dame de Paris

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Émile-Armand Benoit est couvreur-ornemaniste. Nommé Meilleur ouvrier de France en 2015, il participe à la réfection de Notre-Dame de Paris. Rencontre.

Il est plutôt inhabituel, dans le cadre de l'écriture d'un portrait, de rencontrer son interlocuteur allongé dans une gouttière. « Un chéneau », corrige l'intéressé. En ce mercredi de mars, Émile-Armand Benoit est en plein travail sur le cloître de la sacristie de Notre-Dame, où était conservé le trésor de la cathédrale jusqu'à l'incendie du 15 avril 2019. Le petit bâtiment attenant au chœur a été épargné, mais les années ont lentement grignoté sa toiture en pierre qu'il faut donc étanchéifier. Masque respiratoire sur le nez, l'artisan soude les feuilles de plomb le long du canal avec la minutie d'un chirurgien suturant une plaie.

Pour arriver jusqu'à lui, il a d'abord fallu suivre un cours de sensibilisation au plomb, passer par la case vestiaire pour se changer intégralement, enfiler des sous-vêtements et une combinaison jetables, une paire de bottes et un casque de chantier, et franchir deux portiques de sécurité. L'entrevue est chronométrée. Les ouvriers de Notre-Dame sont lancés dans un contre-la-montre pour rendre l'édifice au public ; notre homme a d'autres chats à fouetter que de répondre aux questions d'un journaliste. Il se prête néanmoins à l'exercice, bon gré mal gré, dans le fracas des travaux.

Cinq ans après l'incendie qui l'a ravagée, la cathédrale est toujours prisonnière de ses échafaudages. Seule sa flèche perce de nouveau le ciel de Paris. Détruite par les flammes, l'œuvre de l'architecte Eugène Viollet-le-Duc a été rebâtie à l'identique. C'est d'ailleurs là, à plus de 90 mètres de haut, que nous aurions retrouvé Émile-Armand Benoit si nous étions venu un mois plus tôt : il dirigeait l'équipe chargée d’installer sa couverture, ainsi que les crochets et « grands ducs » qui la subliment. Car le compagnon possède un double savoir. Couvreur, il est aussi ornemaniste. Tel un alchimiste, il transforme le plomb en ornements dont il pare les toitures.

À écouter aussiReportage France - À un an de la réouverture de Notre-Dame de Paris, le choix du plomb fait polémique

Naissance d'une vocation

C'est au pied d'une autre cathédrale qu'Émile-Armand Benoit a grandi : celle d'Amiens, à une heure au nord de Paris. Il a deux sœurs, plus jeunes, et des parents à la tête d'un restaurant gastronomique. « C'est comme ça que je me suis construit, avoue le trentenaire, tronche d'acteur et sourire hollywoodien. Mon père n'a pas forcément fait de grandes études, mais il a toujours cherché à être au plus haut. » Un jour, lors d'une fête de village, un de leurs amis, couvreur de son état, lui fait découvrir le travail du plomb. « Il m'a dit : "Prends mes outils, amorce le plomb, débrouille-toi." Donc j'ai tapé un morceau de plomb et, d'une simple feuille, j'ai sorti une tête de cheval sur une matrice en bronze. »

Émile-Armand a 14 ans, et cette initiation est une révélation. « S'il m'avait fait travailler du zinc, je n'aurais peut-être pas eu ce déclic. » Pourtant bon élève, il fait une croix sur des études générales et s'oriente vers une formation professionnelle en couverture. Sa décision surprend la plupart de ses professeurs, qui l'imaginaient déjà en médecine ou en droit. En France, l'enseignement professionnel est souvent considéré comme une voie de garage pour élèves en difficulté ou défavorisés. Ses parents, eux, respectent son choix. À une condition. « Mon père m'a dit : "Tu seras couvreur, mais tu ne seras pas simple couvreur". Il ne voulait pas que ce métier soit un passe-temps ou un simple gagne-pain ; il fallait que j'approfondisse mon savoir-faire, que j'aille au bout des choses. »

Le jeune homme apprend à travailler les différents métaux et se forme au métier d'ornemaniste au sein d'une entreprise de restauration des monuments historiques. Il y aiguise sa vision dans l'espace, son sens du geste, cette capacité à donner vie à la matière. Il se découvre une « passion » pour ce métier et le sentiment de liberté qu'il procure quand on est perché sur les toits. En 2015, il se présente à l'examen de Meilleur ouvrier de France, symbole de l'excellence dans l'artisanat. Pour les couvreurs, il consiste à présenter une maquette de toiture grande comme une Smart, composée des différentes matières travaillées en France – l'ardoise, la tuile, le plomb, le cuivre, le zinc, le bardeau en bois – tout en étant harmonieuse.

Émile-Armand bûche jusqu'à 70 heures par semaine pour pouvoir ensuite se consacrer entièrement à sa réalisation. Pendant trois mois, il ne fait plus que ça. Mais au moment de la présenter, le doute l'assaille. Après avoir passé autant de temps sur sa maquette, il n'en voit plus que les défauts. Il est finalement reçu haut la main. Un tournant. « Lorsque vous êtes nommé Meilleur ouvrier de France, le regard des autres change, observe-t-il. Vous n'êtes plus un simple couvreur, vous êtes quelqu'un en qui on peut avoir confiance. » Plus besoin d'être recommandé, son titre de MOF suffit. Ce changement de statut s'accompagne d'un autre niveau d'exigence. Un travail correct ne le satisfait plus, il recherche la perfection.

Le goût du plomb

Le 15 avril 2019, il est en train de rédiger un devis lorsqu'une amie lui envoie une photo de la cathédrale en flammes. Il pense d'abord à un photomontage. Il en reçoit une deuxième, grimpe sur le toit de son immeuble d'où il aperçoit la colonne de fumée et allume finalement sa télé. Il ressent « un gros nœud dans le ventre ». Contrairement à des milliers de curieux, il ne se rend pas sur les lieux. Il n'en a aucune envie, pas plus qu'il ne voudra regarder les films racontant le drame.

Entretemps, il a monté sa société. Il « fait » principalement de la copropriété, retape seul des toitures entières d'immeubles haussmanniens – il reconnaît avoir « un peu de mal à déléguer ». Mais les monuments historiques et le travail du plomb lui manquent. L'envie de revenir à ses premières amours. Il s'en confie à un ami qui lui propose de venir « s'amuser un peu » sur les lucarnes du château de Dampierre, dans les Yvelines. « J'ai alors retrouvé le besoin de travailler le plomb tous les jours », raconte-t-il.

De fil en aiguille, le voilà au sommet de la flèche de Notre-Dame, « content et un peu inquiet », comme pris de vertige face à l'ampleur du chantier. « C'est un chantier hors normes, en tout point : la taille, le nombre d'entreprises qui y travaillent, les grues... Je n'avais jamais eu de grue. » Les premiers jours, il admire la vue. Et puis, très vite, tout à son ouvrage, il ne la voit plus. « Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente, il fallait avancer. » En tant que chef d'équipe, il doit penser à tout et pour tout le monde. La tâche est éprouvante, physiquement et psychologiquement. Après trois mois « très, très intenses », Émile-Armand Benoit repart en atelier, pas fâché de pouvoir enfin souffler. Il reviendra à l'automne.

Pour en savoir plus :

- Le site du chantier de Notre-Dame de Paris

- La Fabrique de Notre-Dame, le journal de la restauration

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Il est plutôt inhabituel, dans le cadre de l'écriture d'un portrait, de rencontrer son interlocuteur allongé dans une gouttière. « Un chéneau », corrige l'intéressé. En ce mercredi de mars, Émile-Armand Benoit est en plein travail sur le cloître de la sacristie de Notre-Dame, où était conservé le trésor de la cathédrale jusqu'à l'incendie du 15 avril 2019. Le petit bâtiment attenant au chœur a été épargné, mais les années ont lentement grignoté sa toiture en pierre qu'il faut donc étanchéifier. Masque respiratoire sur le nez, l'artisan soude les feuilles de plomb le long du canal avec la minutie d'un chirurgien suturant une plaie.

Pour arriver jusqu'à lui, il a d'abord fallu suivre un cours de sensibilisation au plomb, passer par la case vestiaire pour se changer intégralement, enfiler des sous-vêtements et une combinaison jetables, une paire de bottes et un casque de chantier, et franchir deux portiques de sécurité. L'entrevue est chronométrée. Les ouvriers de Notre-Dame sont lancés dans un contre-la-montre pour rendre l'édifice au public ; notre homme a d'autres chats à fouetter que de répondre aux questions d'un journaliste. Il se prête néanmoins à l'exercice, bon gré mal gré, dans le fracas des travaux.

Cinq ans après l'incendie qui l'a ravagée, la cathédrale est toujours prisonnière de ses échafaudages. Seule sa flèche perce de nouveau le ciel de Paris. Détruite par les flammes, l'œuvre de l'architecte Eugène Viollet-le-Duc a été rebâtie à l'identique. C'est d'ailleurs là, à plus de 90 mètres de haut, que nous aurions retrouvé Émile-Armand Benoit si nous étions venu un mois plus tôt : il dirigeait l'équipe chargée d’installer sa couverture, ainsi que les crochets et « grands ducs » qui la subliment. Car le compagnon possède un double savoir. Couvreur, il est aussi ornemaniste. Tel un alchimiste, il transforme le plomb en ornements dont il pare les toitures.

À écouter aussiReportage France - À un an de la réouverture de Notre-Dame de Paris, le choix du plomb fait polémique

Naissance d'une vocation

C'est au pied d'une autre cathédrale qu'Émile-Armand Benoit a grandi : celle d'Amiens, à une heure au nord de Paris. Il a deux sœurs, plus jeunes, et des parents à la tête d'un restaurant gastronomique. « C'est comme ça que je me suis construit, avoue le trentenaire, tronche d'acteur et sourire hollywoodien. Mon père n'a pas forcément fait de grandes études, mais il a toujours cherché à être au plus haut. » Un jour, lors d'une fête de village, un de leurs amis, couvreur de son état, lui fait découvrir le travail du plomb. « Il m'a dit : "Prends mes outils, amorce le plomb, débrouille-toi." Donc j'ai tapé un morceau de plomb et, d'une simple feuille, j'ai sorti une tête de cheval sur une matrice en bronze. »

Émile-Armand a 14 ans, et cette initiation est une révélation. « S'il m'avait fait travailler du zinc, je n'aurais peut-être pas eu ce déclic. » Pourtant bon élève, il fait une croix sur des études générales et s'oriente vers une formation professionnelle en couverture. Sa décision surprend la plupart de ses professeurs, qui l'imaginaient déjà en médecine ou en droit. En France, l'enseignement professionnel est souvent considéré comme une voie de garage pour élèves en difficulté ou défavorisés. Ses parents, eux, respectent son choix. À une condition. « Mon père m'a dit : "Tu seras couvreur, mais tu ne seras pas simple couvreur". Il ne voulait pas que ce métier soit un passe-temps ou un simple gagne-pain ; il fallait que j'approfondisse mon savoir-faire, que j'aille au bout des choses. »

Le jeune homme apprend à travailler les différents métaux et se forme au métier d'ornemaniste au sein d'une entreprise de restauration des monuments historiques. Il y aiguise sa vision dans l'espace, son sens du geste, cette capacité à donner vie à la matière. Il se découvre une « passion » pour ce métier et le sentiment de liberté qu'il procure quand on est perché sur les toits. En 2015, il se présente à l'examen de Meilleur ouvrier de France, symbole de l'excellence dans l'artisanat. Pour les couvreurs, il consiste à présenter une maquette de toiture grande comme une Smart, composée des différentes matières travaillées en France – l'ardoise, la tuile, le plomb, le cuivre, le zinc, le bardeau en bois – tout en étant harmonieuse.

Émile-Armand bûche jusqu'à 70 heures par semaine pour pouvoir ensuite se consacrer entièrement à sa réalisation. Pendant trois mois, il ne fait plus que ça. Mais au moment de la présenter, le doute l'assaille. Après avoir passé autant de temps sur sa maquette, il n'en voit plus que les défauts. Il est finalement reçu haut la main. Un tournant. « Lorsque vous êtes nommé Meilleur ouvrier de France, le regard des autres change, observe-t-il. Vous n'êtes plus un simple couvreur, vous êtes quelqu'un en qui on peut avoir confiance. » Plus besoin d'être recommandé, son titre de MOF suffit. Ce changement de statut s'accompagne d'un autre niveau d'exigence. Un travail correct ne le satisfait plus, il recherche la perfection.

Le goût du plomb

Le 15 avril 2019, il est en train de rédiger un devis lorsqu'une amie lui envoie une photo de la cathédrale en flammes. Il pense d'abord à un photomontage. Il en reçoit une deuxième, grimpe sur le toit de son immeuble d'où il aperçoit la colonne de fumée et allume finalement sa télé. Il ressent « un gros nœud dans le ventre ». Contrairement à des milliers de curieux, il ne se rend pas sur les lieux. Il n'en a aucune envie, pas plus qu'il ne voudra regarder les films racontant le drame.

Entretemps, il a monté sa société. Il « fait » principalement de la copropriété, retape seul des toitures entières d'immeubles haussmanniens – il reconnaît avoir « un peu de mal à déléguer ». Mais les monuments historiques et le travail du plomb lui manquent. L'envie de revenir à ses premières amours. Il s'en confie à un ami qui lui propose de venir « s'amuser un peu » sur les lucarnes du château de Dampierre, dans les Yvelines. « J'ai alors retrouvé le besoin de travailler le plomb tous les jours », raconte-t-il.

De fil en aiguille, le voilà au sommet de la flèche de Notre-Dame, « content et un peu inquiet », comme pris de vertige face à l'ampleur du chantier. « C'est un chantier hors normes, en tout point : la taille, le nombre d'entreprises qui y travaillent, les grues... Je n'avais jamais eu de grue. » Les premiers jours, il admire la vue. Et puis, très vite, tout à son ouvrage, il ne la voit plus. « Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente, il fallait avancer. » En tant que chef d'équipe, il doit penser à tout et pour tout le monde. La tâche est éprouvante, physiquement et psychologiquement. Après trois mois « très, très intenses », Émile-Armand Benoit repart en atelier, pas fâché de pouvoir enfin souffler. Il reviendra à l'automne.

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