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Incendie de Kaloum en Guinée: «Il y a eu une réelle volonté de spoliation de nos biens»
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C'était il y a un an, jour pour jour. Le 18 décembre 2023, à minuit cinq, le plus grand dépôt de carburant de Guinée explosait sur la presqu'île de Kaloum, à Conakry. Plus de 20 morts et plusieurs milliers de sinistrés. À l'époque, une enquête judiciaire a été ouverte « pour incendie volontaire ». Un an après, où en sont les investigations ? Et que sont devenues les milliers de personnes dont les maisons ont été soufflées ? Mamoudou Cifo Kétouré est enseignant et préside sur place le Comité des sinistrés des hydrocarbures de Kaloum. En ligne de Conakry, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Un an après, est-ce qu'on connaît les causes de la catastrophe ?
Mamoudou Cifo Kétouré : Non, aucune idée. Parce que nous n'avons reçu aucun enquêteur. Nous ne connaissons pas les résultats de l'enquête, et pire, nous n'avons même pas reçu les condoléances d'usage.
Alors, suite à la catastrophe, une enquête judiciaire a été ouverte, «pour des faits présumés d'incendie volontaire». Est-ce à dire que ce n'est pas un simple accident ?
Oui, c'est le gouvernement qui a été le premier à alerter pour parler de présumé incendie criminel. Et c'est lui qui a les moyens de la police, des enquêteurs pour faire connaître la vérité dans cette affaire. Parce qu’il s'agit de dizaines d'âmes perdues et brûlées dans le feu, un feu qui les consumait pendant une semaine. Il s'agit du plus grave incendie de notre pays, de notre histoire. Cela ne peut pas passer inaperçu.
Alors certains évoquent l'hypothèse de voleurs de carburant qui se seraient introduits sur le site, qui auraient manipulé un objet…
Nous ne pouvons pas croire à cela.
Et qui auraient provoqué l'explosion…
Nous ne pouvons pas croire à cela, surtout qu'il y a eu une réelle volonté de spoliation de nos biens. Tout ce qu'on nous a dit dans cette affaire-là, « tenez, voici des sacs de riz, acceptez que vous soyez relogés à 50 kilomètres de Conakry, de Kaloum, vous allez quitter la capitale », c'est un plan de recasement que nous avons refusé. Nous disons non.
Alors, à la suite de cette catastrophe, on se souvient, il y a eu des messages venus du monde entier, de l'ONU, de l'Union africaine, du pape, de l'Union européenne. Est-ce que, grâce à cette mobilisation, les sinistrés ont pu être secourus ?
Nous saluons cette mobilisation internationale. Il y a un nombre important de ménages qui ont reçu des sacs de riz. Ça, ça a été un apport important pour nous. Mais nous avons voulu recevoir aussi les feuilles de tôles, les sacs de ciment qui ont été offerts par les mêmes personnes et ce sont les mêmes autorités qui les ont reçues. Jusqu'à ce jour, un an après, nous n'avons pas reçu une feuille de tôle, et un seul sac de ciment. Rien. Ces sacs de ciment, ces feuilles de tôles, ils ont totalement disparu. Pour aller où ? Mais pire, il y a une volonté de spoliation de nos biens, parce que les sommes d'argent qui ont été reçues comme don, en remettant ça aux locataires, on leur dit que c'est pour aller trouver des maisons ailleurs. Nous ne vendrons pas nos terrains ! Il s’agit de biens qui nous appartiennent et nous ne sommes pas sur un domaine de l'Etat.
Alors, le 27 mai dernier, le Premier ministre Bah Oury a annoncé 860 000 € pour les sinistrés, avec notamment une enveloppe de 2 millions de francs guinéens pour chacun des 55 propriétaires et une enveloppe d'un million de francs guinéens pour chacun des 322 locataires. Est-ce que ce n'est tout de même pas un geste concret ?
Nous savons qu'il y a eu quelques sommes qui ont été remises à quelques personnes. Mais je dis que la commission qui gère, elle gère dans une opacité sans pareille. Il n'y a pas de communication : qui a reçu ? Qui a donné ? L'argent vient de qui ? Mais pourquoi vous nous parlez toujours de libérer ces constructions pour que vous veniez faire quelques constructions ? Nous disons non. Il y a une volonté de spoliation de nos biens.
C’est-à-dire que vous acceptez les indemnisations, mais vous n'acceptez pas de déménager et de quitter la Presqu'île de Kaloum pour aller en banlieue. C'est ça ?
Nous acceptons l'indemnisation, ça on est d'accord, mais nous ne quitterons pas, parce que ce n'est pas un domaine de l'État, voilà.
Parce que la Presqu'île de Kaloum, elle est au cœur du quartier de l'administration, qui abrite notamment la présidence et la plupart des ministères. Et vous soupçonnez certains de vouloir vous faire déménager en banlieue pour pouvoir récupérer vos terrains qui sont évidemment très convoités, c’est ça ?
Mais cela se confirme aujourd'hui, parce qu'en lieu et place d'enquêtes, on nous parle toujours de recasement, de relogement. Alors, à partir de là, chacun peut tirer sa conclusion.
Vous voulez reconstruire vos maisons ?
Oui, nous-mêmes, par les apports qui sont venus, c'est-à-dire ces feuilles de tôle, ces ciments et les montants qui les ont accompagnés, vous devez nous les donner. Pourquoi nous tenons à ce point-là ? Parce que, si nous ne sommes pas indemnisés, s'il n'y a pas d'enquête, il y a risque de récidive. Vous savez, la Presqu'île de Kaloum, c'est quand même l'endroit le plus convoité du pays.
Parce que c'est là que se trouve la présidence ?
Mais c'est ici que les terrains coûtent le plus cher. Nous, nous sommes les autochtones d’ici. Voilà.
Voulez-vous dire que l'objectif des gens qui ont fait exploser ce dépôt de carburant, c'était peut-être de vous chasser du quartier ?
S'il n'y a pas d'enquête, chacun sera amené à tirer sa conclusion. Mais nous pouvons quand même avouer que nous n'avons pas été traités dignement. Ce qui amène à des interrogations quand même, à se demander le pourquoi de cette situation.
Pensez-vous à des criminels qui voulaient détruire le quartier pour pouvoir ensuite récupérer le terrain ?
Nous attendons les résultats de l'enquête.
Mais vous pensez que c'est une hypothèse sérieuse ?
Oui, à ne pas négliger. Surtout que c'est un l’État qui a communiqué en disant qu'il s'agissait d'un présumé incendie criminel. Tout ce que nous pouvons demander au gouvernement, c'est de faciliter l'enquête. Tant qu’il n'y aura pas de transparence, nous ne participerons pas à un débat, à une discussion sur le relogement sur nos maisons.
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C'était il y a un an, jour pour jour. Le 18 décembre 2023, à minuit cinq, le plus grand dépôt de carburant de Guinée explosait sur la presqu'île de Kaloum, à Conakry. Plus de 20 morts et plusieurs milliers de sinistrés. À l'époque, une enquête judiciaire a été ouverte « pour incendie volontaire ». Un an après, où en sont les investigations ? Et que sont devenues les milliers de personnes dont les maisons ont été soufflées ? Mamoudou Cifo Kétouré est enseignant et préside sur place le Comité des sinistrés des hydrocarbures de Kaloum. En ligne de Conakry, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Un an après, est-ce qu'on connaît les causes de la catastrophe ?
Mamoudou Cifo Kétouré : Non, aucune idée. Parce que nous n'avons reçu aucun enquêteur. Nous ne connaissons pas les résultats de l'enquête, et pire, nous n'avons même pas reçu les condoléances d'usage.
Alors, suite à la catastrophe, une enquête judiciaire a été ouverte, «pour des faits présumés d'incendie volontaire». Est-ce à dire que ce n'est pas un simple accident ?
Oui, c'est le gouvernement qui a été le premier à alerter pour parler de présumé incendie criminel. Et c'est lui qui a les moyens de la police, des enquêteurs pour faire connaître la vérité dans cette affaire. Parce qu’il s'agit de dizaines d'âmes perdues et brûlées dans le feu, un feu qui les consumait pendant une semaine. Il s'agit du plus grave incendie de notre pays, de notre histoire. Cela ne peut pas passer inaperçu.
Alors certains évoquent l'hypothèse de voleurs de carburant qui se seraient introduits sur le site, qui auraient manipulé un objet…
Nous ne pouvons pas croire à cela.
Et qui auraient provoqué l'explosion…
Nous ne pouvons pas croire à cela, surtout qu'il y a eu une réelle volonté de spoliation de nos biens. Tout ce qu'on nous a dit dans cette affaire-là, « tenez, voici des sacs de riz, acceptez que vous soyez relogés à 50 kilomètres de Conakry, de Kaloum, vous allez quitter la capitale », c'est un plan de recasement que nous avons refusé. Nous disons non.
Alors, à la suite de cette catastrophe, on se souvient, il y a eu des messages venus du monde entier, de l'ONU, de l'Union africaine, du pape, de l'Union européenne. Est-ce que, grâce à cette mobilisation, les sinistrés ont pu être secourus ?
Nous saluons cette mobilisation internationale. Il y a un nombre important de ménages qui ont reçu des sacs de riz. Ça, ça a été un apport important pour nous. Mais nous avons voulu recevoir aussi les feuilles de tôles, les sacs de ciment qui ont été offerts par les mêmes personnes et ce sont les mêmes autorités qui les ont reçues. Jusqu'à ce jour, un an après, nous n'avons pas reçu une feuille de tôle, et un seul sac de ciment. Rien. Ces sacs de ciment, ces feuilles de tôles, ils ont totalement disparu. Pour aller où ? Mais pire, il y a une volonté de spoliation de nos biens, parce que les sommes d'argent qui ont été reçues comme don, en remettant ça aux locataires, on leur dit que c'est pour aller trouver des maisons ailleurs. Nous ne vendrons pas nos terrains ! Il s’agit de biens qui nous appartiennent et nous ne sommes pas sur un domaine de l'Etat.
Alors, le 27 mai dernier, le Premier ministre Bah Oury a annoncé 860 000 € pour les sinistrés, avec notamment une enveloppe de 2 millions de francs guinéens pour chacun des 55 propriétaires et une enveloppe d'un million de francs guinéens pour chacun des 322 locataires. Est-ce que ce n'est tout de même pas un geste concret ?
Nous savons qu'il y a eu quelques sommes qui ont été remises à quelques personnes. Mais je dis que la commission qui gère, elle gère dans une opacité sans pareille. Il n'y a pas de communication : qui a reçu ? Qui a donné ? L'argent vient de qui ? Mais pourquoi vous nous parlez toujours de libérer ces constructions pour que vous veniez faire quelques constructions ? Nous disons non. Il y a une volonté de spoliation de nos biens.
C’est-à-dire que vous acceptez les indemnisations, mais vous n'acceptez pas de déménager et de quitter la Presqu'île de Kaloum pour aller en banlieue. C'est ça ?
Nous acceptons l'indemnisation, ça on est d'accord, mais nous ne quitterons pas, parce que ce n'est pas un domaine de l'État, voilà.
Parce que la Presqu'île de Kaloum, elle est au cœur du quartier de l'administration, qui abrite notamment la présidence et la plupart des ministères. Et vous soupçonnez certains de vouloir vous faire déménager en banlieue pour pouvoir récupérer vos terrains qui sont évidemment très convoités, c’est ça ?
Mais cela se confirme aujourd'hui, parce qu'en lieu et place d'enquêtes, on nous parle toujours de recasement, de relogement. Alors, à partir de là, chacun peut tirer sa conclusion.
Vous voulez reconstruire vos maisons ?
Oui, nous-mêmes, par les apports qui sont venus, c'est-à-dire ces feuilles de tôle, ces ciments et les montants qui les ont accompagnés, vous devez nous les donner. Pourquoi nous tenons à ce point-là ? Parce que, si nous ne sommes pas indemnisés, s'il n'y a pas d'enquête, il y a risque de récidive. Vous savez, la Presqu'île de Kaloum, c'est quand même l'endroit le plus convoité du pays.
Parce que c'est là que se trouve la présidence ?
Mais c'est ici que les terrains coûtent le plus cher. Nous, nous sommes les autochtones d’ici. Voilà.
Voulez-vous dire que l'objectif des gens qui ont fait exploser ce dépôt de carburant, c'était peut-être de vous chasser du quartier ?
S'il n'y a pas d'enquête, chacun sera amené à tirer sa conclusion. Mais nous pouvons quand même avouer que nous n'avons pas été traités dignement. Ce qui amène à des interrogations quand même, à se demander le pourquoi de cette situation.
Pensez-vous à des criminels qui voulaient détruire le quartier pour pouvoir ensuite récupérer le terrain ?
Nous attendons les résultats de l'enquête.
Mais vous pensez que c'est une hypothèse sérieuse ?
Oui, à ne pas négliger. Surtout que c'est un l’État qui a communiqué en disant qu'il s'agissait d'un présumé incendie criminel. Tout ce que nous pouvons demander au gouvernement, c'est de faciliter l'enquête. Tant qu’il n'y aura pas de transparence, nous ne participerons pas à un débat, à une discussion sur le relogement sur nos maisons.
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