Artwork

Contenu fourni par France Médias Monde. Tout le contenu du podcast, y compris les épisodes, les graphiques et les descriptions de podcast, est téléchargé et fourni directement par France Médias Monde ou son partenaire de plateforme de podcast. Si vous pensez que quelqu'un utilise votre œuvre protégée sans votre autorisation, vous pouvez suivre le processus décrit ici https://fr.player.fm/legal.
Player FM - Application Podcast
Mettez-vous hors ligne avec l'application Player FM !

En Afrique de l’Ouest, l’organisation de collectifs pour pallier un «syndicalisme émietté»

4:24
 
Partager
 

Manage episode 415617325 series 127992
Contenu fourni par France Médias Monde. Tout le contenu du podcast, y compris les épisodes, les graphiques et les descriptions de podcast, est téléchargé et fourni directement par France Médias Monde ou son partenaire de plateforme de podcast. Si vous pensez que quelqu'un utilise votre œuvre protégée sans votre autorisation, vous pouvez suivre le processus décrit ici https://fr.player.fm/legal.

En Afrique de l’Ouest, les travailleurs célèbrent le 1ᵉʳ-Mai dans un contexte syndical en crise. Émiettement des syndicats, éloignement de leur base, comme au Sénégal. Dans les pays du Sahel, dans des contextes de restriction des libertés, la lutte syndicale peine également à se faire entendre. Le professeur Babacar Fall de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et de l’Institut d’études avancées de Saint-Louis au Sénégal, est historien spécialiste des questions du travail. Il est notre invité ce matin.

Professeur Fall, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui, le syndicalisme au Sénégal, qu'est-ce que c'est ? Il ressemble à quoi ?

Je dirais que le syndicalisme ne se porte pas bien. Si l’on compare la situation des syndicats par rapport à la période qui a conduit vers les indépendances, où les syndicats ont véritablement joué un rôle moteur très important dans la lutte contre le colonialisme, dans la mobilisation des travailleurs à travail égal salaire égal, l'adoption du Code du travail, la lutte contre les injustices, la lutte pour l'avènement de l'indépendance. Les syndicats durant cette période ont véritablement joué le rôle de contre-pouvoir avec l'obtention de l'amélioration de la législation pour les travailleurs au regard des lois métropolitaines et au regard également des droits des travailleurs. Donc, ça a été très important.

Ensuite, après les indépendances, nous avons vu qu'il y a eu une démarcation dès le départ. Mamadou Dia a essayé d'amener les organisations syndicales à contribuer à la construction nationale. Les syndicats n'ont pas voulu appuyer le nouveau pouvoir et le dénouement a été tragique avec la grève de 1959 qui a abouti au licenciement de 3 000 travailleurs. Depuis cette période, il y a une tension entre la fraction des travailleurs voulant collaborer avec l'État et la fraction des travailleurs engagés à vouloir défendre les droits des travailleurs en toute autonomie syndicale. C'est véritablement la pierre d'achoppement.

Aujourd'hui, avec cette situation de crise économique, il y a une situation marquée par les licenciements, par la liquidation des entreprises, par la flexibilité du droit du travail. Il va sans dire que l'attente des travailleurs est de disposer des outils afin de pouvoir assurer la défense de leurs intérêts matériels et moraux pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie.

Ces travailleurs ne trouvent donc pas les soutiens espérés ?

Ces travailleurs ne trouvent pas les soutiens espérés pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous avons un émiettement syndical très remarquable. Aujourd'hui, on dénombre une vingtaine de confédérations syndicales. Si on se réfère simplement aux dernières élections de représentativité organisées en décembre 2023, nous avons eu 15 centrales syndicales qui ont participé aux élections, dans un contexte où la syndicalisation n’est plus très forte. Aujourd’hui, il est remarquable de constater que les syndicats n’attirent pas, du fait qu’ils ne s'imposent pas d'emblée comme le cadre qui peut prendre en compte la lutte contre les licenciements, la lutte contre la précarité. Et cette faible attractivité des syndicats n'est pas du tout en faveur de l'émancipation des travailleurs et de la défense de leur pouvoir d'achat.

On peut dire que les syndicats se sont trop formalisés. Ils sont devenus trop conventionnels. Et leur émiettement s'explique par des questions de démocratie interne, de démocratie syndicale. Les batailles de contrôle des différentes directions sont autant d'éléments qui font en sorte qu’il n'est pas rare de voir une centrale syndicale se fragmenter en trois ou quatre entités. C'est cela qui est regrettable et qui explique aussi que les syndicats ne sont plus des cadres attractifs pour amener les travailleurs à adhérer, à payer leur cotisation syndicale et à pouvoir véritablement s'identifier au syndicat en tant qu'instrument de lutte et de défense de leurs intérêts matériels et moraux.

Comment les travailleurs trouvent-ils les moyens de faire valoir leurs revendications ?

Les travailleurs sont relativement désarmés, et cela explique qu’il y a des mouvements de plus en plus spontanés qui s'organisent au sein de l'entreprise, avec des collectifs qui se mettent en place pour pouvoir défendre leurs droits. Et ce sont des actions à la base de mobilisation des travailleurs qui suppléent les faiblesses des syndicats. Vous avez par exemple le mouvement Frapp qui fait beaucoup d'agitation en direction des entreprises et qui prend en compte les revendications des travailleurs. Ce mouvement se fait l'écho de la voix et des protestations des travailleurs au niveau de l'opinion, au niveau des médias et au niveau du pouvoir politique. Donc ça je crois que c'est une illustration du fait que les syndicats ne sont pas au front dans la mobilisation pour la défense du pouvoir d'achat des travailleurs.

Je prends encore l'exemple de Dakarnave. Tout récemment, il y a eu une crise au sujet de sa convention. Pour assurer la gestion de Dakarnave, l’État voulait renouveler la convention avec un groupe de partenaires portugais. Mais cette nouvelle convention stipule la liquidation des acquis des travailleurs. Et la mobilisation s'est faite sur la base du comité mis en place au sein de l'entreprise pour pouvoir mettre la pression sur le gouvernement. Au premier plan, on ne voit pas la mobilisation des centrales syndicales pour pouvoir assurer la défense des travailleurs.

Ceci dans un contexte également marqué par le coût de la vie très élevé. Au Sénégal, le prix du carburant est de 990 francs le litre alors qu'au Burkina, nous sommes à 700 francs le litre. C'est à peu près le même prix au Mali. Cela participe de l'accentuation du coût de la vie et par rapport à cela, on ne voit pas très bien le rôle de front assuré par les centrales syndicales pour jouer le rôle de contre-pouvoir dans la détermination des prix, pour préserver le pouvoir d'achat des travailleurs.

Vous dressez un portrait du syndicalisme au Sénégal en perte d'influence. Est- ce que c’est le même constat pour toute l’Afrique de l'Ouest ?

Oui, je pense que le portrait du Sénégal cadre parfaitement avec ce que nous pouvons avoir au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ou en Côte d'Ivoire, étant entendu qu’il existe des particularités selon les pays. Si vous prenez les pays sahéliens qui sont confrontés à des problèmes de sécurité, les syndicats sont confrontés à un autre défi, celui de devoir faire face aux restrictions de libertés. Par exemple, au Mali, des partis politiques ont été interdits d’activité. Il va sans dire que dans des conditions où les libertés sont confisquées par l'État, les libertés syndicales souffrent également. Mais du point de vue des tendances lourdes, à savoir le recul de la syndicalisation, la dispersion syndicale et les décalages entre la prise en compte de la défense du pouvoir d'achat des travailleurs par les syndicats, on constate effectivement que la situation est à peu près la même dans la plupart de ces pays.

Au Sénégal, l'arrivée du nouveau président va-t-il changer cette dynamique ?

La bonne nouvelle, c'est que, par exemple, pour le 1ᵉʳ mai, on reprend la tradition des défilés pour consacrer le respect des libertés syndicales. Ça avait été interdit pour des raisons disons de sécurité. Les syndicats étaient obligés d’organiser des rassemblements plutôt que les traditionnels défilés, démonstrations d'expression de la volonté des travailleurs de s'identifier à leur syndicat et de pouvoir effectivement exposer au grand public leurs revendications selon les différents secteurs. Je pense qu’il y a eu un recul sur cela ces trois dernières années et c'est heureux que la tradition des défilés cette année soit consacrée.

Le deuxième élément, je crois qu'il va y avoir une oreille plus attentive du nouveau régime au regard de sa sensibilité par rapport à la demande sociale et également à l'engagement même du pouvoir de devoir faire baisser les coûts de la vie. C'est heureux de constater qu'il y a déjà eu une rencontre entre des confédérations syndicales et le nouveau régime, pour amorcer la conversation sur les mécanismes pour pouvoir participer à la baisse du coût de la vie et par conséquence le renchérissement du pouvoir d'achat des travailleurs. Donc je pense que le nouveau régime ouvre une porte d'espoir. Il faut souhaiter que cette porte d'espoir se consolide et je crois que ça, c'est très important pour les travailleurs.

À lire aussi1ᵉʳ-Mai: plusieurs rassemblements à l’appel des syndicats en Afrique

  continue reading

75 episodes

Artwork
iconPartager
 
Manage episode 415617325 series 127992
Contenu fourni par France Médias Monde. Tout le contenu du podcast, y compris les épisodes, les graphiques et les descriptions de podcast, est téléchargé et fourni directement par France Médias Monde ou son partenaire de plateforme de podcast. Si vous pensez que quelqu'un utilise votre œuvre protégée sans votre autorisation, vous pouvez suivre le processus décrit ici https://fr.player.fm/legal.

En Afrique de l’Ouest, les travailleurs célèbrent le 1ᵉʳ-Mai dans un contexte syndical en crise. Émiettement des syndicats, éloignement de leur base, comme au Sénégal. Dans les pays du Sahel, dans des contextes de restriction des libertés, la lutte syndicale peine également à se faire entendre. Le professeur Babacar Fall de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et de l’Institut d’études avancées de Saint-Louis au Sénégal, est historien spécialiste des questions du travail. Il est notre invité ce matin.

Professeur Fall, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui, le syndicalisme au Sénégal, qu'est-ce que c'est ? Il ressemble à quoi ?

Je dirais que le syndicalisme ne se porte pas bien. Si l’on compare la situation des syndicats par rapport à la période qui a conduit vers les indépendances, où les syndicats ont véritablement joué un rôle moteur très important dans la lutte contre le colonialisme, dans la mobilisation des travailleurs à travail égal salaire égal, l'adoption du Code du travail, la lutte contre les injustices, la lutte pour l'avènement de l'indépendance. Les syndicats durant cette période ont véritablement joué le rôle de contre-pouvoir avec l'obtention de l'amélioration de la législation pour les travailleurs au regard des lois métropolitaines et au regard également des droits des travailleurs. Donc, ça a été très important.

Ensuite, après les indépendances, nous avons vu qu'il y a eu une démarcation dès le départ. Mamadou Dia a essayé d'amener les organisations syndicales à contribuer à la construction nationale. Les syndicats n'ont pas voulu appuyer le nouveau pouvoir et le dénouement a été tragique avec la grève de 1959 qui a abouti au licenciement de 3 000 travailleurs. Depuis cette période, il y a une tension entre la fraction des travailleurs voulant collaborer avec l'État et la fraction des travailleurs engagés à vouloir défendre les droits des travailleurs en toute autonomie syndicale. C'est véritablement la pierre d'achoppement.

Aujourd'hui, avec cette situation de crise économique, il y a une situation marquée par les licenciements, par la liquidation des entreprises, par la flexibilité du droit du travail. Il va sans dire que l'attente des travailleurs est de disposer des outils afin de pouvoir assurer la défense de leurs intérêts matériels et moraux pour pouvoir améliorer leurs conditions de vie.

Ces travailleurs ne trouvent donc pas les soutiens espérés ?

Ces travailleurs ne trouvent pas les soutiens espérés pour plusieurs raisons. La première, c'est que nous avons un émiettement syndical très remarquable. Aujourd'hui, on dénombre une vingtaine de confédérations syndicales. Si on se réfère simplement aux dernières élections de représentativité organisées en décembre 2023, nous avons eu 15 centrales syndicales qui ont participé aux élections, dans un contexte où la syndicalisation n’est plus très forte. Aujourd’hui, il est remarquable de constater que les syndicats n’attirent pas, du fait qu’ils ne s'imposent pas d'emblée comme le cadre qui peut prendre en compte la lutte contre les licenciements, la lutte contre la précarité. Et cette faible attractivité des syndicats n'est pas du tout en faveur de l'émancipation des travailleurs et de la défense de leur pouvoir d'achat.

On peut dire que les syndicats se sont trop formalisés. Ils sont devenus trop conventionnels. Et leur émiettement s'explique par des questions de démocratie interne, de démocratie syndicale. Les batailles de contrôle des différentes directions sont autant d'éléments qui font en sorte qu’il n'est pas rare de voir une centrale syndicale se fragmenter en trois ou quatre entités. C'est cela qui est regrettable et qui explique aussi que les syndicats ne sont plus des cadres attractifs pour amener les travailleurs à adhérer, à payer leur cotisation syndicale et à pouvoir véritablement s'identifier au syndicat en tant qu'instrument de lutte et de défense de leurs intérêts matériels et moraux.

Comment les travailleurs trouvent-ils les moyens de faire valoir leurs revendications ?

Les travailleurs sont relativement désarmés, et cela explique qu’il y a des mouvements de plus en plus spontanés qui s'organisent au sein de l'entreprise, avec des collectifs qui se mettent en place pour pouvoir défendre leurs droits. Et ce sont des actions à la base de mobilisation des travailleurs qui suppléent les faiblesses des syndicats. Vous avez par exemple le mouvement Frapp qui fait beaucoup d'agitation en direction des entreprises et qui prend en compte les revendications des travailleurs. Ce mouvement se fait l'écho de la voix et des protestations des travailleurs au niveau de l'opinion, au niveau des médias et au niveau du pouvoir politique. Donc ça je crois que c'est une illustration du fait que les syndicats ne sont pas au front dans la mobilisation pour la défense du pouvoir d'achat des travailleurs.

Je prends encore l'exemple de Dakarnave. Tout récemment, il y a eu une crise au sujet de sa convention. Pour assurer la gestion de Dakarnave, l’État voulait renouveler la convention avec un groupe de partenaires portugais. Mais cette nouvelle convention stipule la liquidation des acquis des travailleurs. Et la mobilisation s'est faite sur la base du comité mis en place au sein de l'entreprise pour pouvoir mettre la pression sur le gouvernement. Au premier plan, on ne voit pas la mobilisation des centrales syndicales pour pouvoir assurer la défense des travailleurs.

Ceci dans un contexte également marqué par le coût de la vie très élevé. Au Sénégal, le prix du carburant est de 990 francs le litre alors qu'au Burkina, nous sommes à 700 francs le litre. C'est à peu près le même prix au Mali. Cela participe de l'accentuation du coût de la vie et par rapport à cela, on ne voit pas très bien le rôle de front assuré par les centrales syndicales pour jouer le rôle de contre-pouvoir dans la détermination des prix, pour préserver le pouvoir d'achat des travailleurs.

Vous dressez un portrait du syndicalisme au Sénégal en perte d'influence. Est- ce que c’est le même constat pour toute l’Afrique de l'Ouest ?

Oui, je pense que le portrait du Sénégal cadre parfaitement avec ce que nous pouvons avoir au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ou en Côte d'Ivoire, étant entendu qu’il existe des particularités selon les pays. Si vous prenez les pays sahéliens qui sont confrontés à des problèmes de sécurité, les syndicats sont confrontés à un autre défi, celui de devoir faire face aux restrictions de libertés. Par exemple, au Mali, des partis politiques ont été interdits d’activité. Il va sans dire que dans des conditions où les libertés sont confisquées par l'État, les libertés syndicales souffrent également. Mais du point de vue des tendances lourdes, à savoir le recul de la syndicalisation, la dispersion syndicale et les décalages entre la prise en compte de la défense du pouvoir d'achat des travailleurs par les syndicats, on constate effectivement que la situation est à peu près la même dans la plupart de ces pays.

Au Sénégal, l'arrivée du nouveau président va-t-il changer cette dynamique ?

La bonne nouvelle, c'est que, par exemple, pour le 1ᵉʳ mai, on reprend la tradition des défilés pour consacrer le respect des libertés syndicales. Ça avait été interdit pour des raisons disons de sécurité. Les syndicats étaient obligés d’organiser des rassemblements plutôt que les traditionnels défilés, démonstrations d'expression de la volonté des travailleurs de s'identifier à leur syndicat et de pouvoir effectivement exposer au grand public leurs revendications selon les différents secteurs. Je pense qu’il y a eu un recul sur cela ces trois dernières années et c'est heureux que la tradition des défilés cette année soit consacrée.

Le deuxième élément, je crois qu'il va y avoir une oreille plus attentive du nouveau régime au regard de sa sensibilité par rapport à la demande sociale et également à l'engagement même du pouvoir de devoir faire baisser les coûts de la vie. C'est heureux de constater qu'il y a déjà eu une rencontre entre des confédérations syndicales et le nouveau régime, pour amorcer la conversation sur les mécanismes pour pouvoir participer à la baisse du coût de la vie et par conséquence le renchérissement du pouvoir d'achat des travailleurs. Donc je pense que le nouveau régime ouvre une porte d'espoir. Il faut souhaiter que cette porte d'espoir se consolide et je crois que ça, c'est très important pour les travailleurs.

À lire aussi1ᵉʳ-Mai: plusieurs rassemblements à l’appel des syndicats en Afrique

  continue reading

75 episodes

Tous les épisodes

×
 
Loading …

Bienvenue sur Lecteur FM!

Lecteur FM recherche sur Internet des podcasts de haute qualité que vous pourrez apprécier dès maintenant. C'est la meilleure application de podcast et fonctionne sur Android, iPhone et le Web. Inscrivez-vous pour synchroniser les abonnements sur tous les appareils.

 

Guide de référence rapide