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Drame de Nzérékoré en Guinée: les autorités «avaient pour objectif la politique mais ont oublié le foot»
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En Guinée, Amnesty International dénonce « le silence actuel du gouvernement » sur la bousculade meurtrière du 2 décembre dans le stade de football de Nzérékoré et réclame une « enquête indépendante et impartiale » sur ce drame qui a fait plusieurs dizaines de morts : 56 selon les autorités, 135 selon les organisations locales. Tout est parti d'un match de foot organisé en l'honneur du chef du régime militaire de transition, le général Mamadi Doumbouya. Y a-t-il trop de politique dans le sport ? Oui, répond l'ex-footballeur camerounais Joseph-Antoine Bell, qui est consultant de RFI. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Le drame de Nzérékoré, au moins 56 morts à la fin d'un match de football, qu'est-ce que ça vous inspire ?
Joseph-Antoine Bell : On ne va pas au foot pour mourir. Donc, c'est forcément bien qualifié de drame, mais c'est véritablement triste.
Et une personnalité en tribune qui fait annuler la décision de l'arbitre. Est-ce que vous avez déjà vu ça dans votre carrière ?
Oui, malheureusement, venant toujours de personnes du même type. De toute façon, c'est quelque chose qu'on ne voit presque jamais. La première des choses qu'on apprend lorsqu'on joue au foot ou lorsqu'on le regarde, c'est que les décisions de l'arbitre sont souveraines. Personne n'a le pouvoir de descendre sur le terrain pour décider à la place de l'arbitre.
Dans une interview à RFI la semaine dernière, le Premier ministre guinéen Bah Oury a reconnu qu’il y avait eu « de l'improvisation et de l'impréparation de la part des organisateurs du match de Nzérékoré ». Est-ce à dire que ceux-ci ne connaissaient rien au football ?
Mais déjà, ça m'aurait étonné que le Premier ministre, qui est un homme intègre, que je connais, ne dise pas la vérité. Ce qu'il dit là, c’est la pure vérité. Pour que ça se passe ainsi, c'est que ceux qui ont organisé, ce n'est peut-être pas qu'ils ne connaissent rien, mais, ils ne se préoccupaient pas du foot. Ils se préoccupaient plus d'autre chose que de football.
Et quand il y a des dizaines de milliers de spectateurs, on n'improvise pas l'organisation d’un match ?
Non. À chaque événement, vous prenez des spécialistes de cette organisation-là ! C'est pour ça qu'on pense que les fédérations sont outillées, pour organiser, par ce qu’elles ont l'habitude. Et si vous évitez la fédération, vous devez prendre des gens qui leur ressemblent. Par exemple, vous arbitrez un match de village, mais avec un arbitre à la retraite. Mais pas avec un arbitre improvisé, donc là apparemment rien n'était bon. Comment peut-on amasser des gens dans un stade qui a une seule sortie ? Et comment peut-on avoir lancé des lacrymogènes dans une foule qui est dans un endroit où il n’y a pas moyen de fuir ces gaz lacrymogènes qui vous piquent.
À l'origine du drame de Nzérékoré, il y avait donc un tournoi au terme duquel les organisateurs devaient remettre au vainqueur le trophée Mamadi Doumbouya, du nom du président du régime de transition. Est-ce qu'ici le football n'a pas été instrumentalisé à des fins politiques ?
Oui, et c'est là le problème. C'est qu’ils avaient pour objectif la politique et ils ont oublié le moyen qui était le foot. S'ils avaient mis des spécialistes du foot, le résultat serait le même pour eux. C'est à dire, on a la récupération et puis voilà ! Il n'est pas interdit de faire ça, mais il est interdit de mal faire. Mais le problème avec ces gens-là, c’est qu’ils disent toujours travailler pour le chef de l'État, et ils décrètent qu'ils ont toutes les compétences.
Y'a-t-il trop de politique dans le football, Joseph-Antoine Bell ?
Oui, parce que ça se rejoint. La politique a besoin de public et le football a une grande popularité, donc draine beaucoup de public. Et donc c'est presque logique que la politique fasse un saut pour récupérer le football puisque la popularité du foot en fait une proie facile.
Mais la séparation des pouvoirs, le président de la République d'un côté, les instances de football de l'autre, est-ce que c'est possible ou est-ce que c'est un vœu pieux qui n'arrivera jamais ?
Je pense que, au lieu de parler de séparation des pouvoirs, il faudrait parler de collaboration. Donc le pouvoir a besoin du sport, le sport a besoin du pouvoir aussi, mais il faudrait que ce ne soit pas les mêmes qui s'occupent de tout. Sauf que les politiques, eux, ont du pouvoir et que ce pouvoir-là, il est très tentant de se l'arroger pour tout et de décréter qu'on peut tout, qu'on sait tout.
Alors, à la suite de ce drame, plusieurs organisations internationales ont réagi, notamment la Cédéao. Mais on n'a pas entendu la CAF, la Confédération africaine de football.
Précisément parce qu’aucune association de la Confédération africaine de football n'était concernée. Et là, il n'y avait pas d'arbitre de la CAF ou de la Fifa dedans, il n’y avait aucun officiel CAF ou Fifa.
Mais vous n'attendez pas de la CAF un coup de gueule après ce drame ?
Pourquoi la CAF viendrait-elle pousser un coup de gueule en Guinée, si la Fédération guinéenne ne pousse pas d'abord de coup de gueule ? Donc je pense que ce sont plutôt ceux qui, en pratiquant ce sport en dehors de ceux qui en connaissent les règles et l'organisation, doivent apprendre la leçon et retenir que désormais, pour organiser quelque chose, ils associeront la Fédération guinéenne de football.
À lire aussiDrame de Nzérékoré: «Le gouvernement guinéen doit s'exprimer sur le véritable nombre de morts»
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En Guinée, Amnesty International dénonce « le silence actuel du gouvernement » sur la bousculade meurtrière du 2 décembre dans le stade de football de Nzérékoré et réclame une « enquête indépendante et impartiale » sur ce drame qui a fait plusieurs dizaines de morts : 56 selon les autorités, 135 selon les organisations locales. Tout est parti d'un match de foot organisé en l'honneur du chef du régime militaire de transition, le général Mamadi Doumbouya. Y a-t-il trop de politique dans le sport ? Oui, répond l'ex-footballeur camerounais Joseph-Antoine Bell, qui est consultant de RFI. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Le drame de Nzérékoré, au moins 56 morts à la fin d'un match de football, qu'est-ce que ça vous inspire ?
Joseph-Antoine Bell : On ne va pas au foot pour mourir. Donc, c'est forcément bien qualifié de drame, mais c'est véritablement triste.
Et une personnalité en tribune qui fait annuler la décision de l'arbitre. Est-ce que vous avez déjà vu ça dans votre carrière ?
Oui, malheureusement, venant toujours de personnes du même type. De toute façon, c'est quelque chose qu'on ne voit presque jamais. La première des choses qu'on apprend lorsqu'on joue au foot ou lorsqu'on le regarde, c'est que les décisions de l'arbitre sont souveraines. Personne n'a le pouvoir de descendre sur le terrain pour décider à la place de l'arbitre.
Dans une interview à RFI la semaine dernière, le Premier ministre guinéen Bah Oury a reconnu qu’il y avait eu « de l'improvisation et de l'impréparation de la part des organisateurs du match de Nzérékoré ». Est-ce à dire que ceux-ci ne connaissaient rien au football ?
Mais déjà, ça m'aurait étonné que le Premier ministre, qui est un homme intègre, que je connais, ne dise pas la vérité. Ce qu'il dit là, c’est la pure vérité. Pour que ça se passe ainsi, c'est que ceux qui ont organisé, ce n'est peut-être pas qu'ils ne connaissent rien, mais, ils ne se préoccupaient pas du foot. Ils se préoccupaient plus d'autre chose que de football.
Et quand il y a des dizaines de milliers de spectateurs, on n'improvise pas l'organisation d’un match ?
Non. À chaque événement, vous prenez des spécialistes de cette organisation-là ! C'est pour ça qu'on pense que les fédérations sont outillées, pour organiser, par ce qu’elles ont l'habitude. Et si vous évitez la fédération, vous devez prendre des gens qui leur ressemblent. Par exemple, vous arbitrez un match de village, mais avec un arbitre à la retraite. Mais pas avec un arbitre improvisé, donc là apparemment rien n'était bon. Comment peut-on amasser des gens dans un stade qui a une seule sortie ? Et comment peut-on avoir lancé des lacrymogènes dans une foule qui est dans un endroit où il n’y a pas moyen de fuir ces gaz lacrymogènes qui vous piquent.
À l'origine du drame de Nzérékoré, il y avait donc un tournoi au terme duquel les organisateurs devaient remettre au vainqueur le trophée Mamadi Doumbouya, du nom du président du régime de transition. Est-ce qu'ici le football n'a pas été instrumentalisé à des fins politiques ?
Oui, et c'est là le problème. C'est qu’ils avaient pour objectif la politique et ils ont oublié le moyen qui était le foot. S'ils avaient mis des spécialistes du foot, le résultat serait le même pour eux. C'est à dire, on a la récupération et puis voilà ! Il n'est pas interdit de faire ça, mais il est interdit de mal faire. Mais le problème avec ces gens-là, c’est qu’ils disent toujours travailler pour le chef de l'État, et ils décrètent qu'ils ont toutes les compétences.
Y'a-t-il trop de politique dans le football, Joseph-Antoine Bell ?
Oui, parce que ça se rejoint. La politique a besoin de public et le football a une grande popularité, donc draine beaucoup de public. Et donc c'est presque logique que la politique fasse un saut pour récupérer le football puisque la popularité du foot en fait une proie facile.
Mais la séparation des pouvoirs, le président de la République d'un côté, les instances de football de l'autre, est-ce que c'est possible ou est-ce que c'est un vœu pieux qui n'arrivera jamais ?
Je pense que, au lieu de parler de séparation des pouvoirs, il faudrait parler de collaboration. Donc le pouvoir a besoin du sport, le sport a besoin du pouvoir aussi, mais il faudrait que ce ne soit pas les mêmes qui s'occupent de tout. Sauf que les politiques, eux, ont du pouvoir et que ce pouvoir-là, il est très tentant de se l'arroger pour tout et de décréter qu'on peut tout, qu'on sait tout.
Alors, à la suite de ce drame, plusieurs organisations internationales ont réagi, notamment la Cédéao. Mais on n'a pas entendu la CAF, la Confédération africaine de football.
Précisément parce qu’aucune association de la Confédération africaine de football n'était concernée. Et là, il n'y avait pas d'arbitre de la CAF ou de la Fifa dedans, il n’y avait aucun officiel CAF ou Fifa.
Mais vous n'attendez pas de la CAF un coup de gueule après ce drame ?
Pourquoi la CAF viendrait-elle pousser un coup de gueule en Guinée, si la Fédération guinéenne ne pousse pas d'abord de coup de gueule ? Donc je pense que ce sont plutôt ceux qui, en pratiquant ce sport en dehors de ceux qui en connaissent les règles et l'organisation, doivent apprendre la leçon et retenir que désormais, pour organiser quelque chose, ils associeront la Fédération guinéenne de football.
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