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Côte d'Ivoire: vers une mercantilisation de la tradition des pleureuses Bété?
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Les pleureuses Bété participent aux funérailles pour dresser les louanges du défunt, honorer sa mémoire et pleurer sa mort par des chants, des lamentations et des danses traditionnelles. Tout comme certaines pratiques ou chants de griots, certains groupes de pleureuses Bété vendent aujourd'hui leurs services pour gagner leur vie, mais également pour que ces us traditionnels ne disparaissent pas.
Il y a quelques années, Jérôme Koko a œuvré à reconstituer un groupe de pleureuses Bété dans le village de Zépréguhé, un village de Côte d'Ivoire qui fut longtemps connu pour la qualité de ses pleureuses.
« Moi, je veux perdurer la tradition, sinon c’est en voie de disparition, regrette-t-il. Zéprégué est un village de guerrier, ils ont combattu. À Zéprégué, nous avons une grande superficie, nos parents ont lutté pour ça, donc nos guerriers qui ont disparu, il faut les pleurer, on les regrette jusqu’à aujourd’hui. C’est pour cela, pour maintenir leur savoir-faire, pour que chaque fois, on se rappelle d’eux. C’est pour cette raison que je maintiens ce groupe-là. »
Autour de lui, une dizaine de femmes qui maîtrisent la technique des louanges et subliment les funérailles, à travers leurs larmes et leurs lamentations, pour accompagner le défunt vers son dernier voyage. Des femmes qui ont appris ces techniques particulières en observant leur mère ou leur tante, qui elles-mêmes ont reçu cet apprentissage en héritage. « Ma maman chante, donc quand je chante, je suis à côté d’elle, c’est là-bas que j’ai appris, confie Antoinette Zoko. J’ai appris à chanter dans la bouche de ma maman. »
Tantôt jalousées, tantôt décriées par les religions monothéistes qui considèrent ces chants comme des pratiques démoniaques, les pleureuses Bété essuient de nombreuses critiques. Mais, elles aussi, comptent faire perdurer ce patrimoine culturel. « Je ne veux pas arrêter, clame-t-elle. Peut-être, si je meurs, c’est autre chose. Sinon, tant que je vis, je vais toujours chanter. Notre groupe, je veux qu'il continue à évoluer, mais les gens d’ici, là, n’aiment pas cela. »
Paradoxalement, les pleureuses Bété sont de plus en plus demandées dans la région. Elles refusent désormais de se déplacer sans fixer un prix pour la prestation, ouvrant la voie à une mercantilisation des pratiques traditionnelles. « Pour ceux qui vont m’appeler à deux jours de distance, je leur dis que cela coûte 20 000 francs CFA. S’ils sont d’accord, on bouge, explique Anne-Marie Bouabré, selon qui ces tarifs sont indispensables à la survie financière du groupe. Là où l'on va, c'est pour être payées. Si ce n'est pas le cas, je reste là, je n'y vais pas. »
En effet, ces femmes ruminent le sentiment d’avoir été trop souvent utilisées et peu rétribuées pour leurs efforts. Aujourd’hui, elles vivent dans le dénuement. Anne-Marie Bouabré ne souhaite pas que sa fille devienne pleureuse à son tour. Sans soutien financier, la culture musicale des pleureuses Bété pourrait disparaître.
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Il y a quelques années, Jérôme Koko a œuvré à reconstituer un groupe de pleureuses Bété dans le village de Zépréguhé, un village de Côte d'Ivoire qui fut longtemps connu pour la qualité de ses pleureuses.
« Moi, je veux perdurer la tradition, sinon c’est en voie de disparition, regrette-t-il. Zéprégué est un village de guerrier, ils ont combattu. À Zéprégué, nous avons une grande superficie, nos parents ont lutté pour ça, donc nos guerriers qui ont disparu, il faut les pleurer, on les regrette jusqu’à aujourd’hui. C’est pour cela, pour maintenir leur savoir-faire, pour que chaque fois, on se rappelle d’eux. C’est pour cette raison que je maintiens ce groupe-là. »
Autour de lui, une dizaine de femmes qui maîtrisent la technique des louanges et subliment les funérailles, à travers leurs larmes et leurs lamentations, pour accompagner le défunt vers son dernier voyage. Des femmes qui ont appris ces techniques particulières en observant leur mère ou leur tante, qui elles-mêmes ont reçu cet apprentissage en héritage. « Ma maman chante, donc quand je chante, je suis à côté d’elle, c’est là-bas que j’ai appris, confie Antoinette Zoko. J’ai appris à chanter dans la bouche de ma maman. »
Tantôt jalousées, tantôt décriées par les religions monothéistes qui considèrent ces chants comme des pratiques démoniaques, les pleureuses Bété essuient de nombreuses critiques. Mais, elles aussi, comptent faire perdurer ce patrimoine culturel. « Je ne veux pas arrêter, clame-t-elle. Peut-être, si je meurs, c’est autre chose. Sinon, tant que je vis, je vais toujours chanter. Notre groupe, je veux qu'il continue à évoluer, mais les gens d’ici, là, n’aiment pas cela. »
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En effet, ces femmes ruminent le sentiment d’avoir été trop souvent utilisées et peu rétribuées pour leurs efforts. Aujourd’hui, elles vivent dans le dénuement. Anne-Marie Bouabré ne souhaite pas que sa fille devienne pleureuse à son tour. Sans soutien financier, la culture musicale des pleureuses Bété pourrait disparaître.
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