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Alfred Lacroix et l'éruption meurtrière de la montagne Pelée

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Au début du XXe siècle, la montagne Pelée sort de son sommeil. Le volcan mythique déchaîne sa colère, causant en seulement quelques minutes la mort de 28.000 personnes. En l'absence de témoin oculaire pour narrer ce désastre, le professeur Alfred Lacroix devra s'en référer à la science pour retracer le récit de cette catastrophe historique.


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Pour aller plus loin :

Transcription du podcast :

L’archipel des Petites Antilles, constitué d’îles paradisiaques, nous fait rêver mais des catastrophes telluriques terrifiantes peuvent parfois s’y dérouler.

Cet archipel forme un arc volcanique, résultant de la tectonique des plaques. La plaque « Amérique du Sud » plonge sous la plaque « Caraïbe » par un phénomène de subduction, à la vitesse moyenne de 2 cm par an. Plusieurs volcans de cet arc sont appelés « soufrière » : du nord au sud, Soufrière de Montserrat, Soufrière de Guadeloupe, Soufrière de Dominique, Soufrière de Sainte-Lucie, et Soufrière de Saint-Vincent.

Mais en Martinique, département français d’outre-mer, il s’agit de la montagne Pelée, qui occupe le nord de l’île. Comme son nom l’indique, elle est recouverte d’une végétation rase. Le plus souvent, elle reste cachée par d’épais nuages.

En 1902, la montagne Pelée manifeste des envies de réveil…

Dès le mois de février, une odeur de soufre se répand sur Saint-Pierre, ville située au pied du volcan, à 8 km de son sommet. Dans les maisons, les objets en argent noircissent. Durant la fin du mois d’avril, des tremblements de terre se produisent, accompagnés de grondements sourds. Le 23 avril, l’éruption proprement dite débute. De la cendre tombe en abondance dans le quartier du Prêcheur et on n’y voit guère à plus de 2 m de distance.

Les habitants sont inquiets mais les plus anciens se montrent rassurants. Les précédentes éruptions, en 1851 puis en 1889, étaient restées relativement modestes, en particulier la dernière, qui s’était limitée à l'émission de fumerolles. Les autorités essayent de ne pas affoler la population : des élections sont bientôt prévues. Aussi, le journal « Les Antilles » du 30 avril 1902 titre-t-il : « La montagne Pelée a voulu simplement nous faire manger un poisson d’avril. » Mais tout ne fait que commencer.

Le matin du 3 mai, l’obscurité devient presque totale. Dans la nuit du 4 au 5, un orage éclate. Les éclairs zèbrent le ciel, les détonations se succèdent, la rivière Blanche déborde. À 12 h 45, une coulée de boue détruit l’usine Guérin, emportant avec elle les vingt-trois premières victimes.

Le 6 mai un petit dôme apparaît au fond du cratère, preuve que l’éruption acquiert un caractère « magmatique » alors qu’elle n’avait jusqu'à présent qu’un caractère « phréatique » comparable aux éruptions de 1851 et de 1889. Dans la nuit du 7, l’intérieur du cratère se pare de lueurs rougeoyantes.

Au matin du jeudi 8 mai, les cloches de l’église sonnent le jour de l’Ascension dans un ciel clair mais le glas des éléments prend le pas sur elles. À 8 h 01 se déchaîne la colère du volcan.

Une « nuée ardente », nuage brûlant de gaz, entraînant des cendres et des blocs, descend la vallée de la rivière Blanche et anéantit Saint-Pierre, Le Prêcheur, Sainte-Philomène. 28.000 personnes y trouvent une mort instantanée. Seuls deux miraculés survivent à sa course meurtrière. Le cordonnier Léon Léandre Compère est resté à l’abri au fond de son échoppe en demi-sous-sol, échappant de justesse à la nuée qui déferle au-dessus de sa tête. Le prisonnier Cyparis, arrêté pour « ivrognerie notoire », est protégé dans son cachot, dont la seule petite ouverture se trouve orientée à l’opposé du volcan. Il est néanmoins gravement brûlé. Il sera libéré quatre jours plus tard, assoiffé, affamé, terrorisé mais encore en vie. Ce triste épisode lui conférera une certaine notoriété, faisant du survivant de la colère de la Pelée une vedette du cirque « Barnum ».

En zone bordière, on raconte qu'une calèche se dirige vers Morne Rouge quand survient la nuée ardente. Les chevaux sont grillés sur place, les rênes coupées mais les passagers s’en sortent quasi indemnes. À l’époque, une « Commission du volcan », avait bien été nommée pour expertise mais celle-ci ne disposait alors que peu de moyens : pas de sismographe, pas d’hélicoptère. Quatre des cinq périssent dont Gaston Landes, professeur de sciences naturelles : terriblement brûlé, il décédera quelques heures après l’événement.

À Saint-Pierre, le désastre est total. Les importantes réserves d’alcool stockées dans les rhumeries s’enflamment et donnent naissance à un gigantesque incendie. Les eaux de la rade pâlissent sous leur couverture de cendres, et les bateaux qui y sont ancrés rejoignent les flammes. La nuée ardente a dévasté 58 km2. La veille, le 7 mai 1902, la Soufrière de Saint-Vincent, voisine, est entrée brusquement en éruption faisant 1.565 victimes.

À la Pelée, d’autres nuées suivent, de moins en moins intenses et de plus en plus espacées dans le temps : les 20 et 26 mai, le 6 juin et le 9 juillet. Mais une éruption plus puissante encore que celle du 8 mai est en train de se préparer. Le 30 août 1902, une nouvelle nuée ardente dévaste cette fois-ci une superficie deux fois plus importante, de 114 km2 auxquels s'ajoutent 48 km2 recouverts de cendres. Mille âmes perdent la vie à Morne Rouge. La phase « explosive » se poursuit durant plus d’une année.

Commence alors la phase « extrusive ». Un dôme visqueux, véritable aiguille de lave claire, surgit du cratère à partir de novembre 1902. À son pied, des nuées ardentes bien différentes des premières prennent forme et sont généralement suivies par l’effondrement de l’édifice brûlant. Ainsi, l’aiguille de lave visqueuse croît de 60 mètres en trois jours, pour atteindre ensuite une hauteur de 200 mètres avant de s’écrouler, de se reformer, et de s’ébouler à nouveau. Sans ces destructions successives, on imagine qu’elle aurait pu atteindre 850 mètres de hauteur. Cette phase « extrusive » prend fin le 5 octobre 1905, marquant le terme de l’éruption.

La terrible nouvelle de la catastrophe du 8 mai de la Pelée est rapidement arrivée en métropole. Alfred Lacroix, professeur de pétrographie et de minéralogie au Muséum à Paris, est missionné sur place. Il embarque le 9 juin et débarque 14 jours plus tard, le 23 juin, en Martinique. Il y séjourne jusqu'au 1er août et le bateau le ramène en métropole le 16 août. À peine a-t-il eu le temps d’arriver chez lui qu’il reçoit la nouvelle de l'éruption majeure du 30 août et décide de repartir, accompagné de Madame Lacroix, pour une mission plus longue. Il faut rassembler tout le matériel nécessaire : des microscopes feront partie du voyage et les frères Lumière eux-mêmes lui confient leurs meilleures plaques photographiques. Il séjourne au pied de la Pelée du 1er octobre 1902 au 13 mars 1903. Le scientifique rapportera des clichés d'une importance primordiale, qui font encore autorité aujourd'hui.

Avec le capitaine Perney, ils procèdent à des chronométrages précis de la vitesse de propagation des nuées ardentes. Ils mesurent des vitesses moyennes situées entre 10 et 27 m/s, avec un maximum à 50 m/s (soit 180 km/h) en début de progression. Ces observations, comme nombre d’autres réalisées par Alfred Lacroix, restent encore valables de nos jours.

Pour estimer la vitesse de la nuée ardente du 8 mai, le chercheur emploie une autre méthode. Comme aucun témoin oculaire n'a survécu à l'éruption, il faudra s’en référer aux calculs. Heureusement, plusieurs indices sont à sa disposition. La statue monumentale de Notre-Dame-du-Bon-Port a été arrachée de son socle et emportée. Les 290 tonnes du phare de la place Bertin ont été soufflées comme un fétu de paille. De tels déplacements nécessitent des vitesses de l'ordre de 130 à 150 m/s, soit 500 km/h. L'onde de choc qui précéda, encore plus rapide, atteignit 200 m/s soit 700 km/h, et provoqua un écart de pression de 36 mm de mercure en quelques millisecondes.

Lacroix essaie également d’estimer la température des nuées ardentes. En étudiant les dégâts causés à différents types de matériaux sur place, comme le bois, les métaux et le verre, et tout en prenant en compte l’impact parfois supérieur de l'incendie de Saint-Pierre sur ces mêmes objets, il estime une température maximale de 500 degrés.

C’est lui qui offre au terme « nuée ardente », déjà utilisé aux Açores, sa véritable définition : une émulsion dense et très chaude de solide, liquide et gaz, qui se propage très vite et représente un risque volcanique majeur. Le grand livre de Lacroix, 662 pages publiées chez Masson en 1904, demeure la bible des volcanologues actuels. Un observatoire volcanologique, qui porte son nom, a été bâti plus tard au Morne des Cadets.

L’activité de la montagne Pelée a connu une reprise d’activité en 1929-1932, avec des nuées ardentes de moindre importance et aucune victime à déplorer. Mais encore aujourd’hui, elle ne dort que d’un œil…

Je suis Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue et professeur à l’université Paris-Saclay. J’ai choisi de raconter l’histoire de la montagne Pelée qui m’a toujours interpellé. Déjà gamin, mon grand-père – qui était né en 1897 – racontait qu’il se souvenait qu’en métropole on parlait de la catastrophe de la montagne Pelée, qu’il y avait même des quêtes pour les survivants, pour les blessés. Et quand j’ai commencé ma thèse sur les nuées ardentes le professeur Brousse, mon patron, m’a confié l’énorme livre d’Alfred Lacroix que j’ai lu au cours de l’été suivant, et ç’a été le début de ma thèse. Et quand je suis allé pour la première fois à la montagne Pelée, c’était en fait pour aller plutôt à Saint-Vincent où il y avait une éruption. J’avais fait une escale à la montagne Pelée, j’avais dormi à l’observatoire. Et j’avais 24 ou 25 ans, j’étais tout jeune volcanologue. Et je me pinçais en disant « Mais tu réalises ton rêve, t’es à la montagne Pelée. T’en as entendu parlé et là tu y es vraiment, tu la vois devant toi ! » C’était, oui, extraordinaire pour moi.

La montagne Pelée, elle est emblématique de la Martinique. Tous les Martiniquais la connaissent, l’admirent aussi, la craignent. Car quand on va à Saint-Pierre, ce n’est pas anodin, on voit encore les traces de la nuée ardente, on voit encore des ruines, des dégâts. On voit le théâtre qui a été détruit, des maisons emportées. On voit cette montagne Pelée qui ne dort que d’un œil, qui est toujours là. Bien sûr maintenant elle est très surveillée, par un observatoire qui est performant avec des gens compétents. Mais effectivement il y a du respect, et également c’est l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire. 28.000 morts en une minute plus 1.000 quelques mois après, c’est beaucoup. Donc c’est vrai que même les chercheurs étrangers souhaitent venir à la montagne Pelée, c’est pour eux un peu incontournable, c’est un pèlerinage. C’est un volcan mythique dans le monde de la volcanologie.

Merci d'avoir écouté Chasseurs de Science. La musique de cet épisode a été composée par Patricia Chaylade. Au texte et à la narration : Emma Hollen. Si vous appréciez notre travail, n’hésitez pas à nous laisser un commentaire et cinq étoiles sur les plateformes de diffusion pour nous soutenir et améliorer notre visibilité. Vous pouvez aussi vous abonner sur Spotify, Deezer et Apple Podcast pour ne plus manquer un seul épisode. Quant à moi, je vous retrouverai bientôt pour une future expédition temporelle, dans Chasseurs de science. À bientôt !


Musique :

Big Drumming, par Kevin MacLeod

Parsemoth, par Dave Deville

Cinematic Background Sad, par MusicLFiles

Lo Fi Hip Hop 02, par WinnieTheMoog

License: https://filmmusic.io/standard-license

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L’archipel des Petites Antilles, constitué d’îles paradisiaques, nous fait rêver mais des catastrophes telluriques terrifiantes peuvent parfois s’y dérouler.

Cet archipel forme un arc volcanique, résultant de la tectonique des plaques. La plaque « Amérique du Sud » plonge sous la plaque « Caraïbe » par un phénomène de subduction, à la vitesse moyenne de 2 cm par an. Plusieurs volcans de cet arc sont appelés « soufrière » : du nord au sud, Soufrière de Montserrat, Soufrière de Guadeloupe, Soufrière de Dominique, Soufrière de Sainte-Lucie, et Soufrière de Saint-Vincent.

Mais en Martinique, département français d’outre-mer, il s’agit de la montagne Pelée, qui occupe le nord de l’île. Comme son nom l’indique, elle est recouverte d’une végétation rase. Le plus souvent, elle reste cachée par d’épais nuages.

En 1902, la montagne Pelée manifeste des envies de réveil…

Dès le mois de février, une odeur de soufre se répand sur Saint-Pierre, ville située au pied du volcan, à 8 km de son sommet. Dans les maisons, les objets en argent noircissent. Durant la fin du mois d’avril, des tremblements de terre se produisent, accompagnés de grondements sourds. Le 23 avril, l’éruption proprement dite débute. De la cendre tombe en abondance dans le quartier du Prêcheur et on n’y voit guère à plus de 2 m de distance.

Les habitants sont inquiets mais les plus anciens se montrent rassurants. Les précédentes éruptions, en 1851 puis en 1889, étaient restées relativement modestes, en particulier la dernière, qui s’était limitée à l'émission de fumerolles. Les autorités essayent de ne pas affoler la population : des élections sont bientôt prévues. Aussi, le journal « Les Antilles » du 30 avril 1902 titre-t-il : « La montagne Pelée a voulu simplement nous faire manger un poisson d’avril. » Mais tout ne fait que commencer.

Le matin du 3 mai, l’obscurité devient presque totale. Dans la nuit du 4 au 5, un orage éclate. Les éclairs zèbrent le ciel, les détonations se succèdent, la rivière Blanche déborde. À 12 h 45, une coulée de boue détruit l’usine Guérin, emportant avec elle les vingt-trois premières victimes.

Le 6 mai un petit dôme apparaît au fond du cratère, preuve que l’éruption acquiert un caractère « magmatique » alors qu’elle n’avait jusqu'à présent qu’un caractère « phréatique » comparable aux éruptions de 1851 et de 1889. Dans la nuit du 7, l’intérieur du cratère se pare de lueurs rougeoyantes.

Au matin du jeudi 8 mai, les cloches de l’église sonnent le jour de l’Ascension dans un ciel clair mais le glas des éléments prend le pas sur elles. À 8 h 01 se déchaîne la colère du volcan.

Une « nuée ardente », nuage brûlant de gaz, entraînant des cendres et des blocs, descend la vallée de la rivière Blanche et anéantit Saint-Pierre, Le Prêcheur, Sainte-Philomène. 28.000 personnes y trouvent une mort instantanée. Seuls deux miraculés survivent à sa course meurtrière. Le cordonnier Léon Léandre Compère est resté à l’abri au fond de son échoppe en demi-sous-sol, échappant de justesse à la nuée qui déferle au-dessus de sa tête. Le prisonnier Cyparis, arrêté pour « ivrognerie notoire », est protégé dans son cachot, dont la seule petite ouverture se trouve orientée à l’opposé du volcan. Il est néanmoins gravement brûlé. Il sera libéré quatre jours plus tard, assoiffé, affamé, terrorisé mais encore en vie. Ce triste épisode lui conférera une certaine notoriété, faisant du survivant de la colère de la Pelée une vedette du cirque « Barnum ».

En zone bordière, on raconte qu'une calèche se dirige vers Morne Rouge quand survient la nuée ardente. Les chevaux sont grillés sur place, les rênes coupées mais les passagers s’en sortent quasi indemnes. À l’époque, une « Commission du volcan », avait bien été nommée pour expertise mais celle-ci ne disposait alors que peu de moyens : pas de sismographe, pas d’hélicoptère. Quatre des cinq périssent dont Gaston Landes, professeur de sciences naturelles : terriblement brûlé, il décédera quelques heures après l’événement.

À Saint-Pierre, le désastre est total. Les importantes réserves d’alcool stockées dans les rhumeries s’enflamment et donnent naissance à un gigantesque incendie. Les eaux de la rade pâlissent sous leur couverture de cendres, et les bateaux qui y sont ancrés rejoignent les flammes. La nuée ardente a dévasté 58 km2. La veille, le 7 mai 1902, la Soufrière de Saint-Vincent, voisine, est entrée brusquement en éruption faisant 1.565 victimes.

À la Pelée, d’autres nuées suivent, de moins en moins intenses et de plus en plus espacées dans le temps : les 20 et 26 mai, le 6 juin et le 9 juillet. Mais une éruption plus puissante encore que celle du 8 mai est en train de se préparer. Le 30 août 1902, une nouvelle nuée ardente dévaste cette fois-ci une superficie deux fois plus importante, de 114 km2 auxquels s'ajoutent 48 km2 recouverts de cendres. Mille âmes perdent la vie à Morne Rouge. La phase « explosive » se poursuit durant plus d’une année.

Commence alors la phase « extrusive ». Un dôme visqueux, véritable aiguille de lave claire, surgit du cratère à partir de novembre 1902. À son pied, des nuées ardentes bien différentes des premières prennent forme et sont généralement suivies par l’effondrement de l’édifice brûlant. Ainsi, l’aiguille de lave visqueuse croît de 60 mètres en trois jours, pour atteindre ensuite une hauteur de 200 mètres avant de s’écrouler, de se reformer, et de s’ébouler à nouveau. Sans ces destructions successives, on imagine qu’elle aurait pu atteindre 850 mètres de hauteur. Cette phase « extrusive » prend fin le 5 octobre 1905, marquant le terme de l’éruption.

La terrible nouvelle de la catastrophe du 8 mai de la Pelée est rapidement arrivée en métropole. Alfred Lacroix, professeur de pétrographie et de minéralogie au Muséum à Paris, est missionné sur place. Il embarque le 9 juin et débarque 14 jours plus tard, le 23 juin, en Martinique. Il y séjourne jusqu'au 1er août et le bateau le ramène en métropole le 16 août. À peine a-t-il eu le temps d’arriver chez lui qu’il reçoit la nouvelle de l'éruption majeure du 30 août et décide de repartir, accompagné de Madame Lacroix, pour une mission plus longue. Il faut rassembler tout le matériel nécessaire : des microscopes feront partie du voyage et les frères Lumière eux-mêmes lui confient leurs meilleures plaques photographiques. Il séjourne au pied de la Pelée du 1er octobre 1902 au 13 mars 1903. Le scientifique rapportera des clichés d'une importance primordiale, qui font encore autorité aujourd'hui.

Avec le capitaine Perney, ils procèdent à des chronométrages précis de la vitesse de propagation des nuées ardentes. Ils mesurent des vitesses moyennes situées entre 10 et 27 m/s, avec un maximum à 50 m/s (soit 180 km/h) en début de progression. Ces observations, comme nombre d’autres réalisées par Alfred Lacroix, restent encore valables de nos jours.

Pour estimer la vitesse de la nuée ardente du 8 mai, le chercheur emploie une autre méthode. Comme aucun témoin oculaire n'a survécu à l'éruption, il faudra s’en référer aux calculs. Heureusement, plusieurs indices sont à sa disposition. La statue monumentale de Notre-Dame-du-Bon-Port a été arrachée de son socle et emportée. Les 290 tonnes du phare de la place Bertin ont été soufflées comme un fétu de paille. De tels déplacements nécessitent des vitesses de l'ordre de 130 à 150 m/s, soit 500 km/h. L'onde de choc qui précéda, encore plus rapide, atteignit 200 m/s soit 700 km/h, et provoqua un écart de pression de 36 mm de mercure en quelques millisecondes.

Lacroix essaie également d’estimer la température des nuées ardentes. En étudiant les dégâts causés à différents types de matériaux sur place, comme le bois, les métaux et le verre, et tout en prenant en compte l’impact parfois supérieur de l'incendie de Saint-Pierre sur ces mêmes objets, il estime une température maximale de 500 degrés.

C’est lui qui offre au terme « nuée ardente », déjà utilisé aux Açores, sa véritable définition : une émulsion dense et très chaude de solide, liquide et gaz, qui se propage très vite et représente un risque volcanique majeur. Le grand livre de Lacroix, 662 pages publiées chez Masson en 1904, demeure la bible des volcanologues actuels. Un observatoire volcanologique, qui porte son nom, a été bâti plus tard au Morne des Cadets.

L’activité de la montagne Pelée a connu une reprise d’activité en 1929-1932, avec des nuées ardentes de moindre importance et aucune victime à déplorer. Mais encore aujourd’hui, elle ne dort que d’un œil…

Je suis Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue et professeur à l’université Paris-Saclay. J’ai choisi de raconter l’histoire de la montagne Pelée qui m’a toujours interpellé. Déjà gamin, mon grand-père – qui était né en 1897 – racontait qu’il se souvenait qu’en métropole on parlait de la catastrophe de la montagne Pelée, qu’il y avait même des quêtes pour les survivants, pour les blessés. Et quand j’ai commencé ma thèse sur les nuées ardentes le professeur Brousse, mon patron, m’a confié l’énorme livre d’Alfred Lacroix que j’ai lu au cours de l’été suivant, et ç’a été le début de ma thèse. Et quand je suis allé pour la première fois à la montagne Pelée, c’était en fait pour aller plutôt à Saint-Vincent où il y avait une éruption. J’avais fait une escale à la montagne Pelée, j’avais dormi à l’observatoire. Et j’avais 24 ou 25 ans, j’étais tout jeune volcanologue. Et je me pinçais en disant « Mais tu réalises ton rêve, t’es à la montagne Pelée. T’en as entendu parlé et là tu y es vraiment, tu la vois devant toi ! » C’était, oui, extraordinaire pour moi.

La montagne Pelée, elle est emblématique de la Martinique. Tous les Martiniquais la connaissent, l’admirent aussi, la craignent. Car quand on va à Saint-Pierre, ce n’est pas anodin, on voit encore les traces de la nuée ardente, on voit encore des ruines, des dégâts. On voit le théâtre qui a été détruit, des maisons emportées. On voit cette montagne Pelée qui ne dort que d’un œil, qui est toujours là. Bien sûr maintenant elle est très surveillée, par un observatoire qui est performant avec des gens compétents. Mais effectivement il y a du respect, et également c’est l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire. 28.000 morts en une minute plus 1.000 quelques mois après, c’est beaucoup. Donc c’est vrai que même les chercheurs étrangers souhaitent venir à la montagne Pelée, c’est pour eux un peu incontournable, c’est un pèlerinage. C’est un volcan mythique dans le monde de la volcanologie.

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